27e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1996-1997

Dans notre pays, sur trois mariages célébrés, il y en a habituellement un, qui se termine par un divorce. Pourtant, si l'on fait une enquête sur les valeurs auxquelles les gens tiennent le plus, ce sont toujours le bonheur familial et la fidélité qui viennent en premier lieu. Au fond des coeurs, comme dans les chansons, "amour continue de rimer avec toujours". Ceci est vrai même des personnes qui se remarient après l'échec d'une première union !. On dirait qu'elles tiennent d'autant plus à la solidité d'une fidélité nouvelle, qu'elles ont souffert d'un abandon, d'un rejet.

Aujourd'hui, les séparations et les divorces se multiplient. Les lois et les contraintes sociales ne suffisent plus à enrayer ce développement et beaucoup d'hommes et de femmes cherchent à les contourner. Quand on ne s'entend plus, on se sépare. Et ce fait n'est pas nouveau. Il était déjà présent à l'époque de Jésus, comme en témoigne la question des pharisiens dans l'évangile "Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ?" "Est-il permis à un mari... ? " Et la femme, ne pourrait-elle pas renvoyer son homme ? La question n'affleure pas dans les esprits, même s'il existait au temps de Jésus des recours exceptionnels devant un tribunal, qui permettaient à l'épouse de reprendre sa liberté.

La question des pharisiens est un piège. Quelle que soit la réponse du Maître, ses adversaires veulent le ranger dans un camp : celui des rigoristes ou celui des laxistes. Comme souvent, Jésus ne répond pas à leur question. Il n'entre pas dans le débat juridique. Il va beaucoup plus profond, à la naissance même de l'amour et du couple humain. Il rappelle la parole créatrice, celle qui indique à jamais à l'homme et la femme leur vocation partagée : 'Au commencement Dieu les fit homme et femme. A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu'un. "

Il n'y a donc aucune supériorité masculine sur la femme. L'humain a été "créé homme et femme". Que l'on ne fasse pas de l'épouse l'inférieure de son mari dont celui-ci pourrait disposer à sa guise : ce serait "séparer ce que Dieu a uni".

Marc place cette polémique sur la route de Judée vers Jérusalem, en un temps où Jésus affronte les autorités religieuses et dénonce leurs hypocrisies. Cette dispute sur le mariage n'est qu'une dispute parmi d'autres dans lesquelles Jésus oppose l'esprit de la loi aux interprétations qui en faussaient le sens. Ici, Jésus renvoie à la tradition juive : l'intention de Dieu est que l'amour soit Fidèle. Un peu comme Dieu l'est lui-même envers son peuple. Il a fait autrefois alliance avec Israël. Malgré les abandons de celui-ci, lui, Dieu demeure fidèle. Cette fidélité divine doit être le modèle de la fidélité humaine.

Malheureusement, dans le langage courant, on ne donne souvent de la fidélité qu'une définition négative. On parle de ne pas mettre son pied de travers. Dans l'Evangile, la fidélité n'est pas un rêve comme dans un roman, elle est une exigence. Et cette exigence est positive. La vraie fidélité va bien plus loin : Elle veut le bonheur du conjoint. Aussi se fait-elle au besoin, compréhension, pardon, encouragement et partage. La vraie fidélité s'inspire de la fidélité de Dieu. La grandeur de l'amour humain est d'être appelé à ressembler à l'amour de Dieu, dans générosité !

La deuxième chose sur laquelle nous devrions méditer, c'est le fait que nous ne sommes pas Dieu et que nous expérimentons chaque jour notre fragilité humaine. Nous pouvons connaître l'échec et parfois même subir la trahison.

Ceux qui approchent des personnes divorcées savent combien leur épreuve peut être pénible, souvent plus douloureuse que le veuvage. La personne dont le conjoint meurt, connaît bien sûr une période de tristesse et de désarroi, une vraie crise de confiance. "Que vais-je devenir ? Ai-je fait tout ce qu'il fallait pour rendre mon conjoint heureux ? Ne pouvait-on éviter sa mort ?" La personne divorcée se pose peut-être les mêmes questions, mais en plus elle a l'impression d'avoir été reniée, rejetée, trahie. Son idéal est détruit. Elle est surtout tentée de ne plus croire en l'amour. A tort ou à raison, elle se sent exclue, condamnée, par son entourage, parfois par ses proches. Elle se sent aussi mise à l'écart par les lois de l'Eglise. Pourtant, Dieu l'aime. Dieu lui reste fidèle, infiniment plus que les êtres humains !

Cette fidélité de Dieu, modèle du mariage chrétien, doit également inspirer à nos communautés chrétiennes le souci d'accueillir les naufragés de l'amour, les personnes séparées, divorcées. Nous avons le devoir de les soutenir et de leur ouvrir la porte d'une nouvelle espérance, y compris la possibilité de recréer un nouveau foyer chrétien si elles le souhaitent profondément.

Bien sûr, tous les divorces et tous les remariages ne sont pas légitimes. Il y en a qui reposent sur une injustice, sur cette dureté de coeur et cet égoïsme que l'évangile lu aujourd'hui condamne avec force. C'est bien ainsi que l'ont compris les premières générations chrétiennes. La fin du texte de Marc nous dit les paroles que Jésus a prononcées "à la maison" ' Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d'adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d'adultère. " Quelle est cette maison dans laquelle Jésus parle à ses disciples ? C'est un lieu symbolique. Par ces mots, Marc introduit habituellement les conclusions que la communauté primitive a tirées de l'enseignement de Jésus. Conclusions, qui, selon un procédé littéraire habituel à l'époque, sont mises dans la bouche du Seigneur lui-même, parlant dans la maison.. Nous voyons donc que les premiers chrétiens n'ont pas accepté la répudiation permise par Moïse et qu'ils ont pris fort au sérieux la condamnation qu'en a faite Jésus..

Mais l'attitude du Christ qui rejette violemment l'hypocrisie et l'égoïsme, n'est pas un rejet des victimes, ni une négation de l'échec. Au contraire, la fidélité de Dieu s'exprime chez Jésus par son souci de guérir ceux qui ont souffert, de remettre les gens debout, de les réconcilier avec la vie et avec le Père, de ne pas les enfermer dans leur passé, mais de leur donner une nouvelle chance. Aussi, même si nous soutenons et admirons les divorcés qui restent seuls, soit par attachement au sacrement de mariage, soit par fidélité à un seul amour injustement trompé, il faut bien se rendre compte qu'une telle solitude n'est pas toujours possible, ni heureuse pour l'équilibre de la famille. Il est donc normal que beaucoup de divorcés essayent d'entreprendre une nouvelle union Il faut d'ailleurs du courage pour oser aimer et s'engager à nouveau pour toujours, après la blessure profonde due à l'échec d'un premier foyer. Si nos communautés chrétiennes doivent être signes de l'amour de Dieu, il faut qu'elles accueillent vraiment les divorcés, qu'elles aident ses membres blessés à rebâtir l'avenir. Cela veut dire rappeler à chacun qu'il est aimé de Dieu, malgré les échecs de sa vie et donc que les portes de l'espérance ne lui sont pas fermées.