29e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1996-1997

Une nuit de cette semaine, j'ai fait un rêve. Puis, en le revivant éveillé, mon rêve est devenu désir. Le désir étant à ce point présent, j'espère qu'il va pouvoir se réaliser. Oh, ne vous inquiétez pas, mon rêve il n'est pas très compliqué. Je me suis mis à rêver qu'en quittant cette Eglise, tout à l'heure, chez vous, au cours d'un repas, en soirée, vous alliez prendre un peu de temps entre vous pour discuter de l'homélie. Non point pour satisfaire mon égo. De ce côté-là, ça se passe plutôt bien. Sinon, je ne serais pas dominicain. Mais parce que je crois que les textes de ce matin (soir) nous invite à dépasser deux des plus grandes peurs de notre temps. Peurs qui nous paralysent et nous conduisent à vaciller lorsque quelqu'un, proche ou lointain, vit une de celles-ci : j'ai nommé la souffrance et la mort.

Pour ce faire je voudrais nous provoquer en reprenant une phrase d'Isaïe : « à cause de ses souffrances, il verra la lumière, il sera comblé ». Voilà bien le type de citation des années 30, une théologie du martyr où nous pouvons nous imaginer un corps plein de flèches (ou encore le pet en flammes, pour reprendre l'expression d'un de ceux qui a préparé cette célébration), des êtres sanguinolents qui souffrent pour le plaisir. Or à la lumière de l'évangile, une telle phrase peut nous libérer d'un fardeau bien lourd à porter. Il est étonnant de remarquer, que bien souvent les diverses souffrances nous conduisent à découvrir une certaine lumière. Nous sommes en droit de nous demander pourquoi, nous autres, êtres humains, nous attendons de recevoir des claques, des gifles de la vie pour avancer, pour trouver sens ? Quand tout va bien, quand nous réussissons professionnellement, familialement, affectivement, notre vitesse de sens se met à ralentir, nous nous mettons à vivoter, sans trop nous poser de questions. Et puis, soudainement, au creux d'un tournant, la vie nous reprend et nous trébuchons, tombons.

L'expérience de la souffrance ou de la mort nous réveille de façon dramatique. La question du sens se fait alors pressante. D'abord nous voulons comprendre, le pourquoi de ce qui nous arrive. Vient ensuite, le temps pour accepter que nous ne connaîtrons jamais la vraie réponse. Suit alors, le temps du « pour quoi » en deux mots, de ce drame, qu'est-ce que j'en fais, où vais-je, qu'est-ce que j'en retire. Et je me mets à grandir en moi-même, à retrouver le sens de la vie, à redécouvrir qu'une seule chose compte, c'est d'aimer. Le reste, le matériel, facilite la vie, mais ne l'épanouit pas. Seul l'amour et l'amitié peuvent le faire. Nous retrouvons les valeurs essentielles de notre vie sur terre. Ces retrouvailles ne peuvent hélas se faire seul. Nous avons à ce moment, peut-être plus que jamais, besoin des autres, du Tout-Autre. Pour passer de la souffrance à la lumière, l'amour est devenu une nécessité. Et là, tout à coup, nous faisons la douloureuse épreuve de la solitude. La maladie, la mort font fuir. On ne téléphone pas, on ne prend pas de nouvelles, on ira même jusqu'à changer de trottoir pour ne pas devoir parler à cette personne qui souffre. Nous ne savons pas ce que nous devons dire, comment nous comporter. Nous sommes tout simplement tellement mal à l'aise. Vouloir trouver les mots justes, c'est croire que l'on peut comprendre, or nous ne comprenons pas ces deux mystères. Ils surviennent, jaillissent sans nous demander notre avis. Il nous reste alors la compassion, ce désir de porter ensemble la souffrance de l'autre. Rien ne peut endiguer la souffrance, il reste alors ce mystérieux pouvoir de l'amour pour reprendre les mots de Michel Quoist. Avoir de la compassion, c'est être là, dans son propre silence, aimer sans chercher ni ne trouver de réponses. Laisser l'espace à l'autre pour qu'il puisse se dire, se raconter dans sa propre souffrance. Le combler de son amitié pour affronter sa destinée.

Hélas, la compassion ne vient pas comme cela, elle n'est pas innée. Elle naît de notre capacité de communiquer, de nommer nos peurs de la maladie et de la mort, de quitter cette pudeur qui nous tenaille et nous emprisonne. Il ne faut pas tout vivre pour comprendre. Mais c'est vrai, lorsqu'on a vécu l'épreuve de la souffrance, on pressent mieux la solitude de l'autre. Si entre nous, nous trouvions la force de prendre un peu de temps pour parler de tout cela, nous serons alors plus à l'aise pour accompagner et aimer celle ou celui qui traverse un tel moment. Et c'est ensemble que nous grandirons. Comme le Christ nous le rappelle ce matin (soir), au Royaume de Dieu, c'est servir qui importe. En ce jour de la mission universelle, il ne me reste alors qu'à nous souhaiter de bonnes discussions chez nous. Mon rêve sera alors réalisé. Et il y aura un peu plus d'humanité lorsque nous traversons des difficultés.

Amen