LA FOI CROIT À L'IMPOSSIBLE
L'évangile de ce dimanche commence ex abrupto par une curieuse demande des « Apôtres » qui tout à coup reviennent en scène après une longue absence: « Augmente en nous la foi ». Quelle est la raison de cette requête et que signifie-t-elle ? Pour la comprendre, il faut reparcourir les chapitres précédents où l'on voit que, sur la route qui le conduit à Jérusalem, Jésus multiplie les enseignements les plus durs, les plus exigeants pour ses disciples. La montée vers la capitale est une montée vers l'amour par la croix, et elle symbolise l'itinéraire de la foi du chrétien. Notons 5 point principaux :
Chap. 14, 25 : on ne peut être disciple que si l'on renonce à tout en acceptant de porter sa croix (c.à.d. en adoptant un genre de vie qui est condamné par le milieu et le pouvoir)
Chap. 15 : la communauté doit tout faire pour retrouver les brebis égarées et célébrer des Eucharisties comme « fêtes des pécheurs pardonnés ».
Chap. 16 : Jésus dénonce l'idolâtrie de l'argent ; tout disciple doit être astucieux comme le gérant malhonnête : se faire des amis par des dons aux pauvres et ouvrir les yeux des avares crispés sur leur fortune. « Impossible de servir Dieu et l'Argent » : l'option est indispensable. Le chrétien ne dit pas « amen » à tout !
Chap. 17, 1 : sans illusion, Jésus annonce que dans sa communauté, il y aura des scandales : certaines déclarations et comportements de « chrétiens » et même de responsables risqueront de faire perdre la foi aux plus vulnérables. Tuer la foi des tout petits mérite un châtiment terrible. « Tenez-vous sur vos gardes » a conclu Jésus.
Chap. 17, 3 : dans ma communauté, déclare encore Jésus, chaque frère qui aura blessé un autre viendra lui demander pardon et, à chaque fois, même « sept fois par jour », ce dernier devra offrir son pardon.
On le voit : les Douze, choisis par Jésus pour annoncer la Bonne Nouvelle (6, 12) et diriger l'ensemble des communautés, apprennent peu à peu en quoi consiste le Peuple du Royaume de Dieu sommé de vivre des exigences aussi radicales : sa guidance sera tout sauf facile ! L'évêque en premier lieu et tout responsable d'une communauté chrétienne n'a pas de temps à perdre, il reçoit une charge accablante, qui dépasse ses forces mais qui est justement la naissance de la nouvelle humanité telle que Dieu veut la recréer. D'où l'on comprend la prière instante des Apôtres qui se sentent dépassés. Comment organiser une communauté fière de porter la croix, en recherche missionnaire permanente, refusant la passion de l'argent et dénonçant son idolâtrie qui tue les pauvres, réparant les dommages des scandales s'ils surviennent, et exhortant inlassablement tous les membres à se pardonner l'un à l'autre ?
LA FOI EN L'IMPOSSIBLE
Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer', et il vous obéirait.
Jésus est nommé deux fois par son titre de Ressuscité : « Seigneur » - signe que l'épisode ne se réduit pas à un souvenir du passé mais que les responsables de l'Eglise ont à refaire sans cesse cette prière.
Demander aux chrétiens de renoncer à leur égoïsme, de chercher avec zèle les frères perdus, d'accueillir le frère qui se convertit, de déboulonner l'idole de l'argent, de surmonter les scandales, d'offrir inlassablement la miséricorde : n'y a-t-il pas là des obstacles insurmontables ?
Conscients que cette tâche les dépasse, qu'ils n'auront jamais en eux-mêmes la possibilité de tenir à cette hauteur, les Apôtres demandent « plus de foi ». Jésus ne leur donne pas ce qu'ils demandent, une force magique pour dissoudre les problèmes, mais il les appelle à un surplus de confiance précisément dans la présence du Seigneur et de son Esprit dans l'Eglise.
Qu'ils se jettent dans cette confiance : aussi minime qu'une graine de moutarde, cette foi-confiance constatera que l'obstacle le plus enraciné peut être surmonté.
Egoïsme, orgueil pharisien, avarice, rancune : rien ne devra paraître insurmontable.
DANS L'EGLISE LE SERVICE EST UNE GLOIRE
Par ailleurs les progrès des communautés, leur croissance, leur renommée donneront beaucoup de joie aux Apôtres qui seront légitimement fiers des résultats de leurs efforts. Mais le Seigneur les met en garde contre toute appropriation de réussite, contre toute vanité.
« Lequel d'entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : 'Viens vite à table' ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : 'Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.' Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d'avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir.' »
Le serviteur qui a accompli sa tâche tout au long de la journée trouve normal, le soir, de terminer son service en préparant le repas de son maître : après quoi il peut lui-même manger et prendre du repos.
De même, dit le Seigneur à ses Apôtres, dépensez-vous à fond au service de vos frères sans attendre de rémunération et de louange et que la fin du jour soit consacrée à la prière, « au service de votre Seigneur ». Ensuite vous pourrez vous offrir du repos dans la joie du devoir accompli, mieux : dans l'allégresse de vous être tout donnés à la mission la plus essentielle de l'histoire du monde.
L'adjectif final fait difficulté : comment qualifier ces serviteurs ? Le dictionnaire traduit le mot par « inutiles » ce qui, à la lettre, paraîtrait forcé car ces hommes ont accepté et rempli un devoir qui leur avait été confié. « Quelconques » dit la liturgie pour laisser entendre que si le service de Dieu et des communautés est une responsabilité vitale, nul apôtre ne doit se juger indispensable.
« Soli Deo gloria - A Toi, Dieu, notre louange » : toute charge dans l'Eglise, si onéreuse soit-elle, ne peut porter son exécutant à l'autosatisfaction, à la vanité, à la gloriole. Servir Dieu et ses frères est en soi-même une récompense qui ne mérite nul coup d'encensoir.
A la dernière cène, alors que les Apôtres à nouveau se disputeront sur les questions de préséance, Jésus calmera leur vanité en leur disant : « Que celui qui commande prenne la place de celui qui sert....Moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert » (22, 27). Jésus descend au dernier rang, celui du serviteur qui aime jusqu'à donner sa vie. C'est bien pour cela qu'il sera SEIGNEUR.