“Augmente en nous la foi” disent les apôtres à Jésus. Voilà vraiment un désir partagé par beaucoup de nos contemporains. Face à nos découragements, il y a cette légitime envie d’ “augmenter la foi”, de “restaurer ou de maintenir la confiance”, de faire croître le croire. Pourtant, la foi n’est en rien quelque chose qui se possède. Encore moins quelque chose qui augmente, comme s’il y avait une échelle de la foi —un pistomètre pour prendre l’expression du frère Philippe—, allant du doute radical à la foi du charbonnier! La foi ne se mesure pas, ne se possède pas, ne se thésaurise pas et elle disparaît au moment même où on veut la garder pour soi. La foi dont parle cet Evangile —s’il fallait se risquer à la définir—consiste essentiellement en cette « capacité de s’appuyer sur quelqu’un d’autre que soi ». Elle n’a donc rien à voir avec de la morale ou des croyances. Fondamentalement, la foi est une relation qui ne « s’augmente pas », mais qui s’entretient. Elle consiste à s’appuyer sur quelqu’un d’autre que soi. Et vous l’avez sans doute remarqué, dans cet Evangile plein de contrastes, il y a une différence essentielle entre celui qui est doté d’une foi comme un grain de moutarde et le serviteur inutile de la parabole : le premier n’a pas de maître, le second en a un. Le premier est soumis à ses propres désirs, même absurdes, le second est soumis aux ordres de son maître. La foi n’est donc rien dans l’absolu. Elle n’a de sens que si elle a un autre en qui la placer, et qui lui donne sa mesure. Pour cela, il y a donc un certain équilibre, une mesure à trouver, afin de quitter nos peurs, sans nous perdre en l’autre. « Ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit (…) d’amour et de pondération » nous dit la lettre à Timothée. Amour et pondération viennent ainsi mettre de l’équilibre dans nos relations de confiance. Et lorsque l’opposé de la foi s’installe, lorsque cette capacité à s’appuyer sur un autre diminue, alors la peur et l’inaction surgissent. Finalement, celui qui a peur est toujours un non pratiquant, un non agissant, un non croyant. “Si vous aviez la foi comme un grain de moutarde…” C’est comme si Jésus nous disait qu’il est impossible d’être un croyant non pratiquant… La foi n’est donc rien sans un autre en qui elle se dépose et qui lui donne sa mesure. Et l’Evangile nous montre cela par deux petites images, assez curieuses, et qui sont à première vue paradoxales : l’arbre déraciné et qui se plante dans la mer, et le serviteur inutile. Le « serviteur inutile » accomplit des tâches vraiment utiles, car il cultive, prépare et sert le repas, tandis que celui qui aurait la foi, même petite, aurait le pouvoir de faire des choses absurdes et inutiles. [mais je suis prêt à en discuter au « 42 ».] En réalité, l’image de l’arbre dans la mer n’est certainement pas prise au hasard. Il ne s’agit pas d’utilité. L’arbre est symbole de vie dès les premières lignes de la Bible et la mer symbole de mort. Pour l’homme biblique, la mer est le lieu des puissances du mal. La foi —lorsqu’elle est confiance placée en l’autre— peut faire surgir la vie jusque dans nos lieux de mort ! Elle amène des forces de vie dans nos lieux de désespérance. Et Jésus accompagne cela d’une seconde image. «Quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’». Lorsque nous parvenons à planter de la vie dans des forces de désespoir, n’oublions jamais de revenir à la terre de notre humilité. Il ne sert à rien de chercher une quelconque reconnaissance pour ce que nous avons fait, de nous définir par nos fonctions, ou même par la confiance donnée. Et voilà que cette seconde image nous rappelle que même s’il y a de la confiance donnée, on ne peut jamais se croire au-dessus de celui en qui on place sa confiance… Alors, à nous de témoigner à notre tour de cette confiance, car il y aura toujours quelqu’un qui a cru en nous, avant nous, il y aura toujours ce « don gratuit de Dieu » qui nous précède. À nous d’en témoigner par des actes, même malhabiles, Et par des paroles, même maladroites, mais qui enracinent toujours l’arbre de la vie dans l’océan de nos peurs, « grâce à l’Esprit qui habite et qui grandit en nous. Et qui croit en nous. Amen
27ème dimanche ordinaire
- Auteur: Didier Croonenberghs
- Date de rédaction: 2/10/16
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : C
- Année: 2015-2016
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