LA VIGNE DE DIEU PLANTÉE AU GOLGOTHA
Le jour même où chaque famille achetait un agneau pour la fête de la Pâque toute proche, Jésus est entré à Jérusalem et, sur l’esplanade du temple, s’est mis à hurler pour qu’on supprime de là tout ce commerce d’animaux. Scandale général, stupeur du peuple, furie des autorités ! Imperturbable, pendant plusieurs jours, Jésus revient sur ce lieu, s’y installe et y enseigne : la Parole remplace les sacrifices ! Les responsables religieux vont alors se succéder pour cribler cet intrus de questions. Mais Jésus réplique et par 4 paraboles il dévoile le péché de ces hommes et révèle du coup le dessein de Dieu qu’il est en train d’accomplir. Après celle des 2 fils, nous écoutons les deux suivantes.
PARABOLE DES VIGNERONS HOMICIDES
Jésus disait aux chefs des prêtres et aux pharisiens : « Écoutez une autre parabole :
Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage.
Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon.
Jésus s’inspire d’un chant célèbre du prophète Isaïe – repris ce jour en 1ère lecture - où Dieu comparait Israël à une vigne précieuse à laquelle il avait apporté tous les soins et qui hélas donnait de mauvais fruits : « Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux, il y installa un plant de choix ...Il en attendait de beaux raisins et il n’en eut que de mauvais ! Il en attendait le droit et c’est l’injustice ; il en attendait la justice et il ne trouve que les cris des malheureux » (Is 5,1-8).
Jésus pointe la responsabilité des autorités (les vignerons). Les présidents du culte (les grands Prêtres) et les spécialistes des commandements (les Pharisiens) auraient dû veiller aux effets sociaux, pratiques, des cérémonies et des observances : créer un peuple régi par le droit et la justice et où l’on n’entend plus les cris de détresse des malheureux.
Or non seulement ces hommes n’ont pas voulu accomplir le Dessein du Maître mais en outre, ils ont refusé d’écouter les objurgations des Prophètes que Dieu leur envoyait régulièrement pour leur rappeler leurs devoirs. Osée avait exprimé la volonté de Dieu: « C’est la miséricorde que Dieu veut et non les sacrifices » (Os 6, 6 – cité deux fois par Matthieu 9,13 ; 12, 7). Amos, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel…tous avaient butté sur le refus de conversion, le mépris et même à la haine. Combien de prophètes avaient été rejetés, battus, emprisonnés, mis à mort !
Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : “Ils respecteront mon fils.” Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : “Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !” Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? »
On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. »
A la fin, un changement capital se produit : après avoir envoyé des « serviteurs », Dieu envoie SON FILS. En effet si l’homme Jésus s’est présenté comme un prophète, disciple du Baptiste, il a peu à peu révélé son identité mystérieuse.
Lors de son baptême, il avait perçu la voix de Dieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qu’il m’a plu de choisir » (3, 17 – redit à la Transfiguration 17, 5).
Dans sa prière, il disait : « Je te loue, Père…Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé…Nul ne connaît le Père sinon le Fils… » (11, 25-27).
Lorsque Pierre avait confessé sa foi, Jésus lui avait répondu : « Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui est aux cieux » (16, 17).
Au terme de la lignée des prophètes, Jésus a une valeur singulière, difficile à percevoir : il est le Fils du Père, l’image parfaite de Dieu, sa révélation humaine, sa Parole authentique, fiable.
On aurait pu s’attendre à ce que, enfin, les vignerons prêtent l’oreille à cet ultime envoyé : hélas non, leur endurcissement s’accentue et ils vont même jusqu’à exécuter ce fils. « Hors ville » dit Matthieu puisque Jésus condamné sera conduit en-dehors de Jérusalem, au lieu dit Golgotha (Héb 13, 12)
Subtil, Jésus termine son histoire en apostrophant ses interlocuteurs : si vous-mêmes étiez dans ce cas, comment auriez-vous agi ?...Naïvement ils donnent une double réponse qui prophétise ce qui va survenir et qui explique la raison de leur condamnation :
« Il les fera périr » : lorsque, en l’an 70, 40 ans après le Golgotha, Jérusalem se soulèvera, sera écrasée par les armées romaines et que le temple sera détruit, les chrétiens seront très frappés par ce désastre. L’aveuglement des autorités juives les aura, pensaient-ils, conduits à cette catastrophe
« Il la donnera à d’autres vignerons qui remettront des fruits ». Cela ne signifie donc pas qu’Israël sera rejeté par Dieu et remplacé par l’Eglise – puisque tous les premiers chrétiens seront des juifs. Mais la vigne de Dieu ne sera plus un peuple enclos dans ses frontières, une nation dirigée par une religion : elle sera constituée de volontaires de toutes origines, appliqués à fructifier selon la volonté de Dieu c.à.d. à vivre selon le droit et la justice.
PARABOLE DE LA PIERRE
Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! »
Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. Et tout homme qui tombera sur cette pierre s’y brisera ; celui sur qui elle tombera, elle le réduira en poussière ! »
En entendant les paraboles de Jésus, les grands prêtres et les pharisiens avaient bien compris qu’il parlait d’eux. Tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules, parce qu’elles le tenaient pour un prophète.
Greffée sur la précédente, cette petite parabole reprend une autre image inspirée du psaume 138, 24 : les maçons chargés de bâtir le peuple de Dieu ont jugé que Jésus était indigne d’entrer dans cette édification et ils vont le chasser, le rejeter, le tuer. Mais voilà la merveille accomplie par Dieu : il reprend, relève son Fils et le constitue « pierre angulaire », c.à.d. pierre de faîte qui soutient de manière extraordinaire la Nouvelle Demeure, le Temple nouveau, l’Eglise constituée de pierres vivante.
« ‘C’est en vous approchant de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu, que vous aussi, comme des pierres vivantes, vous êtes édifiés en une sainte communauté sacerdotale pour offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ » (1 Pierre 2, 5)
CONCLUSION
Sans doute retravaillée par Matthieu, la double parabole de Jésus est devenue une allégorie de l’histoire du salut. La succession d’événements : cérémonial et légalisme improductifs, échec des prophètes, refus de réaliser le projet social de Dieu et exécution du Fils Jésus, tout prend sens. La communauté de Matthieu saisit l’accomplissement paradoxal du dessein de Dieu et, du coup, comprend qu’elle doit toujours prendre garde à ne pas répéter, elle-même, les péchés des ancêtres.
Les responsables des nouvelles communautés n’ont pas à honorer Dieu par des cérémonies fastueuses et l’abattage d’animaux dans des édifices majestueux ; les théologiens doivent veiller à ne pas déraper dans des arguties spécieuses et à ne pas accumuler les interdits pharisiens.
Le culte chrétien – dépouillement dans l’eau du baptême et partage d’une galette de pain autour d’une simple table – permet d’éviter les dérives faussement religieuses et crée une communauté fraternelle qui porte les fruits que Dieu attend et vit selon: « le droit et la justice ».
27ème dimanche, année A
- Auteur: Raphaël Devillers
- Date de rédaction: 5/10/14
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014