26ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 28/09/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

LE ROYAUME C’EST L’AGE DU FAIRE

Parti de Césarée de Philippe, Jésus est arrivé à Jérusalem au début du printemps, quelques jours avant la grande célébration de la Pâque, au moment où les foules de pèlerins affluent. Une joyeuse effervescence gagne toute la ville . D’emblée il a fait scandale en chassant les animaux destinés aux sacrifices et en vente sur l’esplanade. Ensuite, pendant plusieurs jours, installé sur cette même esplanade, « il enseigne » comme il le fait depuis le début (21, 23).

Son esclandre, son comportement et sa parole exacerbent les autorités religieuses qui lui demandent de quel droit il agit de la sorte puis qui se succèdent pour lui poser des questions embarrassantes afin de le déconsidérer devant le peuple qui l’écoute avec intérêt (Marc 11, 18). Sans se laisser décontenancer, Jésus répond à ses adversaires par quatre paraboles dont nous lisons la première aujourd’hui.

LE « OUI » EN PAROLE DOIT DEVENIR ACTE

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux anciens :

« Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : “Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.” Celui-ci répondit : “Je ne veux pas.” Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : “Oui, Seigneur !” et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »

« Mon enfant, va travailler à la vigne » : nous réentendons l’invitation pressante de la parabole des ouvriers de la 11ème heure. Entrer dans le Royaume de Dieu ne se réduit pas à une formalité, une inscription dans un registre, une récitation de formules : l’adhésion doit absolument entraîner une obéissance active, il est requis de travailler, de pratiquer ce que le Père dit. La croyance dite par la bouche doit passer aux actes, et des actes conformes à ce que Dieu exige.

La foi, c’est faire la volonté du « Père » (7, 21 ; ….). Sinon elle est illusion.

D’autre part, l’entrée dans le Royaume est toujours possible : un homme qui avait refusé pendant longtemps peut subitement se convertir et se donner de tout son cœur. C’est bien lui le fidèle : les interlocuteurs de Jésus en conviennent volontiers.

En prenant appui sur leur accord, Jésus va leur appliquer l’exemple qu’il vient de leur donner. Car une parabole n’est pas une historiette que l’on écoute poliment mais une interpellation directe ; « Ce n’est pas seulement à toi que je m’adresse mais c’est de toi que je parle » dit Jésus.

LA PIÉTÉ PEUT RENDRE INCAPABLE DE CONVERSION

Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole ».

Jésus rappelle l’activité prophétique de son ancien maître. Loin du temple, consacré à la pauvreté, l’ascète de la frontière avait pris « le chemin de la justice » - c.à.d. qu’il se comportait en obéissance à Dieu - et il avait dénoncé l’hypocrisie de certains qui venaient lui demander le baptême mais sans en tirer les conséquences pratiques :

« Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion et ne vous avisez pas de dire : « Nous avons pour père Abraham » (3, 7-10)

Des responsables religieux s’étaient rendus près du Baptiste : peut-être avaient-ils reconnu en lui un prophète, un envoyé de Dieu et admiré son courage mais ils n’avaient pas accepté de se remettre en question et de procéder au changement qu’il préconisait. Leurs titres, leur appartenance au peuple élu, l’appui sur les mérites des ancêtres et leur fréquentation du temple leur semblaient suffire à assurer leur salut.

Au contraire, des grands pécheurs avaient été bouleversés par la prédication du Baptiste : après avoir longtemps enfreint les commandements de Dieu et être restés sourds aux appels des responsables religieux, voilà que tout à coup ils avaient décidé de changer de vie. Faisant confiance à Jean, ils étaient revenus sur « le chemin de la justice ». Après des années de NON, ils avaient fini par dire OUI.

Et vous, poursuit Jésus, vous avez vu que ces pécheurs se convertissaient et vous n’avez pas accepté de faire de même. La conversion était leur affaire à eux et pas la vôtre. C’est pourquoi ces pécheurs vous précèdent dans le Royaume, ils prennent votre place.

Comprenons bien : Jésus n’a jamais enseigné que des pécheurs impénitents valaient mieux que des croyants, comme si la morale n’avait pas d’importance. Il dit au plus grand pécheur qu’il peut décider de revenir à Dieu, changer de conduite et être pardonné. Et il dit au croyant qui se croit impeccable qu’il a lui aussi à se convertir.

L’autre « parabole des deux fils » dans l’évangile de Luc enseignera de la même façon que le prodigue, s’il revient, est pardonné avec amour et que son frère qui se croyait bon observant s’exclut en refusant la miséricorde (Luc 15)

RISQUE EN TOUTE RELIGION

Sur l’esplanade qui donne accès au temple, Jésus s’est mis à prêcher : avant de procéder à des rites, il importe au préalable d’écouter le prophète qui annonce la Parole de Dieu. Sinon il y a toujours danger de se fier à ses pratiques liturgiques, à son appartenance à un groupe religieux pour « se croire en règle ».

La liturgie de la Parole (les lectures et l’homélie) est l’entrée nécessaire dans l’Eucharistie et non « une avant-messe » plus ou moins facultative : l’invité au repas doit d’abord apprendre à quoi il s’engage. En foi chrétienne, l’audition prime la vision, l’acoustique l’emporte sur le décoratif.

Il est sans doute dommage que dans le langage courant, le mot « pratiquant » désigne quelqu’un qui observe des rites réguliers alors que, pour Jésus, il est celui qui met « en pratique » les enseignements entendus, qui vit ce qu’il a appris. Il faut dire « oui » et immédiatement « travailler à la Vigne ».

Mais quel bonheur de savoir que si nous nous sommes longtemps contenté d’un OUI rituel tout en refusant de vivre les exigences de l’Evangile, nous pouvons à tout moment répondre par un OUI en actes et nous mettre au travail avec un élan redoublé.