L'Evangile et l'Argent
Après les relations entre disciples (26ème dimanche), puis les liens au sein du couple et de la famille (27ème) , l'évangile de ce jour rapporte le 3ème et dernier volet des enseignements les plus exigeants de Jésus: il concerne notre rapport aux biens de ce monde et à l'argent. Il va évidemment nous toucher au point sensible !
Jésus se mettait en route quand un homme accourut vers lui, se mit à genoux et lui demanda:
- Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la Vie éternelle ?
- Pourquoi m'appelles-tu "bon": personne n'est bon sinon Dieu seul. Tu connais les commandements: "Pas de meurtre, pas d'adultère, pas de vol, pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère."
- Maître, j'ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse.
Posant son regard sur lui, Jésus se mit à l'aimer: il lui dit:
- Une seule chose te manque: va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel; puis viens et suis-moi.
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s'en alla tout triste...car il avait de grands biens !
Tout à coup survient un homme. " Un jeune homme", précisera Matthieu: en effet on note ses rapports à ses parents et non à une épouse. Il a entendu Jésus et, montrant pour lui une grande vénération, il vient lui poser la grande question de la réussite de la vie: comment parvenir à la béatitude du ciel ?
D'emblée Jésus s'efface devant la profession de foi monothéiste d'Israël :" Un seul Dieu !"; puis il rappelle à son interlocuteur que le chemin de la Vie est clairement indiqué dans la Torah par le Décalogue - dont il ne cite d'ailleurs que la 2ème table, les commandements concernant les rapports à autrui.
" J'ai observé tout cela" dit l'homme sans forfanterie: Jésus fixe son regard sur lui, perçoit un honnête garçon habité par une grande foi, insatisfait par une simple observance de règlements, ouvert à un au-delà des lois, en recherche d'absolu. " Une seule chose te manque: va, vends, donne, viens".
Remarquons qu'il n'est jamais dit nulle part que Jésus ait appelé un père de famille à lâcher les siens et sa maison: il ne lance cet appel radical qu'à des jeunes, comme les 4 premiers, les pêcheurs du lac de Galilée ( Marc 1, 16) qu'il a embauchés pour travailler avec lui.
Mais l'appel de Jésus s'adresse toujours à une liberté: jamais il n'oblige, jamais il ne force. Et ici la vocation échoue....à cause de l'argent ! Le jeune homme doit être d'une riche famille, il est honnête, bien élevé, pieux, gentil...mais il se montre incapable de renoncer à tout ce qu'il a. Il ne trouve pas l'appel de Jésus aberrant, impossible à réaliser. Au contraire."Il devient sombre" car au fond de lui-même, il pressent qu'il pourrait, qu'il devrait y répondre. Hélas, son c½ur est possédé par ses possessions. Infidèle à sa propre recherche, il bascule dans la tristesse et il s'en retourne, pressentant qu'il vient de rater l'occasion de combler ce "manque" que Jésus avait deviné en lui. Il n'a pas osé faire le saut.
Alors Jésus regarde autour de lui et dit à ses disciples:
- Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu !
Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Mais Jésus reprend:
- Mes enfants, comme il est difficile d'entrer dans la Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu !
De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux:
- Mais alors qui peut être sauvé ?
Jésus les regarde et répond:
- - Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu; car tout est possible à Dieu.
La stupeur des disciples se comprend: en effet dans les Ecritures, la richesse n'est-elle pas le signe de la faveur de Dieu qui récompense le labeur, l'honnêteté, la compétence ? Les Patriarches ne s'étaient-ils pas enrichis suite aux bénédictions de Dieu ? Celui-ci n'avait-il pas promis à son peuple nomade et misérable de lui offrir une terre riche où il ne manquerait de rien (Deut. 8, 7)?
Néanmoins la Bible avait aussi pointé le risque énorme de l'enrichissement: Israël, sur sa bonne terre, s'était infatué de ses résultats, il avait placé son orgueil dans ses productions plantureuses et très vite sa richesse l'avait détourné de son Dieu. Au lieu de partager les biens acquis pour créer une société basée sur la justice et le droit, les nantis s'étaient jetés dans une course effrénée au profit sans écouter les cris des malheureux.
Terrible glu de l'argent qui colle aux mains, soif indéfinie de posséder toujours davantage.
Alors Jésus élargit le problème: lui qui a tout abandonné pour accomplir l'appel reçu de son Père, qui connaît bien l'histoire de son peuple et qui a remarqué combien les riches devenaient souvent durs de c½ur, lance un avertissement général sur le danger de l'enrichissement par une image qui est devenue proverbiale: Plus un chameau est chargé, moins il peut passer par une porte étroite. Ainsi de l'homme qui accumule les biens: il ne parvient plus à s'engager.
Les disciples demeurent ébahis devant cette déclaration car qui ne tient, au moins un peu, à l'argent ?... S'il en est ainsi, personne n'entrera dans le Royaume ! Le salut est-il donc impossible ?
Si l'homme ne compte que sur ses capacités individuelles, en effet, répond Jésus, il ne peut pas. On ne fait pas son salut, on le reçoit. Avec la grâce de Dieu. Ce qui laisse entrevoir un espoir possible pour le jeune homme: si, à ce moment-là, il n'a pu se débarrasser de ses biens, peut-être, un jour ou l'autre, va-t-il réfléchir et il priera Dieu de lui donner la force de répondre à l'appel de Jésus.
Pierre dit à Jésus: Voilà que nous, nous avons tout quitté pour te suivre ! Jésus déclara: - Amen, je vous le dis: personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Evangile, une maison, des frères, des s½urs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu'il reçoive, en ce temps-ci déjà, le centuple: maisons, frères, s½urs, mères, enfants et terres...avec des persécutions ! - et, dans le monde à venir, la Vie éternelle.
Le renoncement n'est pas l'essentiel: il est la conséquence de la décision de suivre Jésus et de vivre selon son Evangile. Le don des biens est en vue du don de soi: il n'est pas geste héroïque mais effet de l'amour.
" A cause de moi et de l'évangile": c'est pour rester avec Jésus, pour vivre avec lui, pour marcher sur ses traces décrites dans l'Evangile, que l'homme devient capable du don total.
Les premières générations chrétiennes après la Pentecôte ne connaissaient pas la vie religieuse et les couvents: les communautés ne regroupaient que des fidèles ordinaires, avec des responsabilités familiales et professionnelles. Mais la conversion à Jésus Seigneur, dans un milieu hostile, entraînait souvent scissions familiales, ruptures avec l'entourage, bris de carrière, pertes d'héritages. "Vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens" écrivait l'auteur de la Lettre aux Hébreux (10, 34). Oui, nos premiers frères vivaient la radicalité de l'engagement du baptême mais ils étaient heureux de se retrouver ensemble pour former la famille de Jésus. Ils recevaient effectivement "le centuple" dès maintenant.
Même si s. Luc idéalise un peu, il écrit: Ils "étaient unis et mettaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens pour les partager selon les besoins de chacun" (Actes des Apôtres 2, 44). La terrible cupidité, l'amour de l'argent, la passion de posséder toujours davantage étaient vaincus. Ensemble ils se retrouvaient enfants du même Père des cieux et leur allégresse, suscitée par l'Esprit, était telle qu'elle les rendait capables de supporter les persécutions.
Car évidemment, en adoptant ce style de vie qui remettait en question la conduite générale (course à l'argent et au profit), ils étaient mal vus, critiqués, vilipendés par l'entourage. Refusant l'idolâtrie de tous, les chrétiens ne pouvaient qu'être persécutés. Ils le savaient et assumaient leur destin: partageant la Passion de leur Seigneur, ils étaient sûrs de le rejoindre dans la Vie éternelle.
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ACTUALITE : En quelques dizaines d'années, le système moteur du monde occidental avait réussi de manière éclatante: il avait vaincu le système communiste et installé une extraordinaire machinerie pour nous combler de biens toujours nouveaux, offrir à tous assurance-vie, soins de santé, confort, voyages... Jamais le niveau de vie de l'humanité n'avait fait un tel bond en si peu de temps ! ...Et tout à coup des jongleurs financiers commettent des folies et tout le système s'effrite, risque la banqueroute. La crise ferme les entreprises, envoie des millions de gens au chômage.
Et voilà que les plus grands savants du monde crient S.O.S.: " On va droit dans le mur !" : le climat se réchauffe, le niveau des océans monte, les glaciers fondent, les espèces vivantes disparaissent. C'est la planète qui court à sa perte !
Et l'Unicef annonce: " Un enfant meurt toutes les 20 secondes par manque d'eau potable, de toilettes ou d'hygiène. C'est inacceptable. Mais ce n'est pas une fatalité. Des solutions simples et peu coûteuses existent..."
C'est le moment de nous interroger: Jésus exagérait-il ? N'avait-il pas mis le doigt sur le péril mortel que nous font courir la cupidité et l'avarice ? De grandes voix appellent: il nous faut changer de style de vie, refréner nos gaspillages insensés.
La décision est urgente. L'Eglise de Jésus ne peut ressembler au chameau surchargé impuissant à entrer par la porte d'un avenir viable . N'est-ce pas elle (nous) qui devait, depuis longtemps, changer de cap et opter pour un partage équitable et la sobriété ? A quand une Eglise véritablement prophétique c.à.d. qui vit ce qu'elle croit avant de crier au monde ce qu'il devrait faire ?