Mc 10, 17-30
Il y a quelques années, en reprenant l'animation de paroisses, j'avais été rapidement frappé par le fait que quelques personnes avaient le don incroyable de m'énerver pour un ensemble de petits détails liturgiques. Il n'y avait pas une célébration où à la fin de celle-ci, un de ces mêmes fidèles venait me voir pour se plaindre que la chorale avait chanté trop fort, que le lecteur n'avait pas suffisamment articulé ou encore qu'il avait lu trop vite, que la décoration florale aurait pu être plus joyeuse. J'en passe et des meilleures. Je me suis alors dit que je ne tiendrais jamais le coup avec ce genre de remarques sur ce que j'estime être peu important. Il fallait que je trouve une solution le plus vite possible. Un dimanche suivant, une dame vint à nouveau vers moi pour réitérer une de ses plaintes habituelles. Je la regardai avec beaucoup de compassion et surtout avec un grand sourire et je lui ai dit : « chère Madame, mais rendez grâce à Dieu ». Pourquoi devrai-je le faire, s'interrogea-t-elle. Tout simplement, lui répondis-je, parce que vous allez bien. En effet, si vous étiez touché par la maladie, le deuil, une perte d'emploi ou autre chose encore, vous n'auriez même pas vu ces petits détails. Donc, rendez grâce à Dieu de pouvoir vous énerver pour si peu de choses. Cela veut dire que vous allez bien. Je ne suis pas sûre qu'elle ait été convaincue de mes arguments. Par contre, ce que je puis vous assurer c'est qu'à partir de ce moment-là, plus personne n'est venu m'importuner avec ce type de remarques et il arrivait même parfois que quelqu'un me disait : « vous allez encore nous dire : rendez grâce à Dieu », ce à quoi je répondais toujours : « si c'est ce que vous pensez que je vais vous dire, alors, il n'est même pas nécessaire de me parler de ce qui vous tracasse et qui doit être très léger par rapport aux aléas de la vie ».
Toutes et tous à notre manière, nous pouvons être comme ce jeune homme riche de l'évangile. Il ne s'agit pas ici tant de richesses matérielles mais plutôt de tout ce qui peut nous encombrer et qui nous empêche de nous tourner vers l'essentiel, vers l'existentiel. Notre cerveau, notre mémoire et parfois aussi notre c½ur, peuvent être encombrer de tant de choses futiles et qui peuvent nous détourner de notre destinée. Nous avons en nous un grand grenier où nous stockons non seulement nos souvenirs heureux mais également nos blessures, nos énervements, nos paroles dures, nos frustrations. Pris par le tourbillon de la vie, nous oublions parfois de prendre le temps de monter quelques étages en nous pour aller faire un peu de rangement. Un peu comme si nous étions des conservateurs ou des nostalgiques qui n'arrivent pas à se séparer de certains souvenirs qui peuvent nous empoisonner l'existence. Le jeune homme riche de l'évangile avait trop d'avoirs matériels et il ne pouvait s'en passer, c'est pourquoi il s'en retourna tout triste. Nous ne sommes pas à l'abri d'être confrontés à un même type de réalité même s'il se situe à un autre niveau. Nous avons, nous aussi, en nous, un ensemble de richesses qui sont belles et qui nous font grandir mais nous sommes également riches de choses qui nous encombrent et peuvent nous emprisonner l'existence. Ces dernières peuvent devenir tellement encombrantes qu'elles se mettent insidieusement à recouvrir toutes les perles d'amour, de douceur et de tendresse qui sont en nous. Faut-il que nous soyons confrontés à un événement douloureux tels que la maladie, la perte d'emploi, le deuil ou tout autre type de souffrances pour commencer une remise en ordre et pourquoi pas de se débarrasser de ce qui est accessoire pour revenir à l'essentiel, c'est-à-dire là où le Christ nous attend. Si nous pouvons le faire, alors toute expérience aussi douloureuse ait pu-t-elle être a déjà quelque chose de bénéfique puisque nos prenons le risque de remettre de l'ordre en nous. Ce matin, sur chacune et chacun de nous, le Fils de Dieu pose son regard et se met à nous aimer lorsque dans le silence de notre âme nous souhaitons mettre nos pas à sa suite. Puissions-nous au c½ur de nos fragilités, de nos vulnérabilités respectives, prendre le temps de laisser le Souffle de Dieu agir en nous pour qu'il nous désencombre de tout ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes. Que l'expérience de la maladie, de la prise de conscience de notre fragilité nous permette de prendre le temps de nous libérer de nous-même afin de participer dès maintenant à l'avènement du Royaume. Nous pourrions nous sentir esseulés dans une telle tâche. Détrompons-nous, le Fils de Dieu nous accompagne sur notre route et l'Esprit est à l'½uvre dès à présent en nous car « tout est possible pour Dieu ».
Amen