29e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

 

 

Mt 22, 15-21

Pour comprendre exactement le message de Jésus, dans cet épisode de sa vie, il nous faut d'abord comprendre qui sont les acteurs en présence et le sens de cet impôt à César pour le juif pieux de l'époque. Les Hérodiens, farouches partisans de la dynastie des Hérodes qui occupent leur fonction par la grâce de Rome, sont résolument du côté de l'occupant romain. Les Pharisiens, eux, sont simplement soucieux de trouver un compromis avec Rome et de garder leur indépendance religieuse. Cependant, les deux groupes se liguent, une fois n'est pas coutume, à propos de la très célèbre controverse sur les impôts civils.

Tout comme nous, les juifs étaient sujets à de multiples impôts dont l'impôt religieux, la dîme au temple et ceux dus à l'Etat romain étaient les plus importants. Les juifs ne rechignaient pas trop à s'acquitter des premiers, expression de leur foi et de leur piété. En revanche, les autres étaient mal supportés et surtout des pharisiens. En effet, ceux-ci consistaient en un impôt foncier sur les terrains et les propriétés. Or, la Terre Sainte et Promise, était, pour eux, propriété de Dieu et non de l'Empereur.

Jésus est habilement piégé. Ne pas payer, c'est être un mauvais citoyen, payer c'est être un citoyen impie ! Dans un cas, c'est le triomphe des hérodiens, dans l'autre celui des pharisiens ! Mais Jésus dénonce une man½uvre sournoise en rétorquant « Hypocrites ! » Dans le langage biblique, ce terme est synonyme de « pervers », impie, éloigné de Dieu. En grec courant, le mot « hypocrite » désigne un acteur de théâtre, celui qui donne la réplique ! Traiter un hérodien de comédien et un pharisien d'impie, voilà qui n'est pas banal et qui révèle plutôt une ironie mordante. En effet, quand Jésus se fait apporter un denier, il est bien démontré que ni lui ni ses disciples n'ont cet argent sur eux, tandis que les pharisiens, soi-disant opposés à Rome, eux, en possèdent. Quand Jésus renvoie à César ce qui lui appartient et à Dieu ce qui lui revient, il nous livre la véritable leçon de cet épisode. Il y a autre chose à faire qu'à controverser entre soi à propos de l'impôt.

La seule chose qui compte, le plus important, c'est de se situer face à la prédication de Jésus, pour ou contre Dieu, ouvert ou fermé au Royaume dont Dieu le Père est le Roi et Jésus le prophète. La réalité de la terre, qu'elle soit régie par César ou un autre, s'est estompée pour faire place au nouveau Royaume. Par le baptême, le chrétien est citoyen du ciel. Et seul Dieu y règne, non par des impôts mais par sa grâce de lumière et d'amour.

L'état est renvoyé à sa caducité, sonore et trébuchante. L'homme est renvoyé à sa vraie nature qui est d'être à l'image de Dieu. Si le denier est frappé à l'effigie de César, le chrétien, lui, est crée à l'image de Dieu. Etes-vous décidé à lui appartenir aussi totalement que ce denier appartient à Tibère ? Voilà la conversion que Jésus attend de nous tous.

Cet épisode nous rappelle notre dépendance totale par rapport à Dieu. Il ne s'agit pas de fabriquer des dieux à notre image, surtout celle de l'argent, mais de découvrir que la seule image de Dieu, c'est nous. A nous d'en témoigner. Essayons de ne pas être un reflet de Dieu trop flou mais bien plutôt, un reflet exaltant et un instrument possible de générosité et de fraternité, afin que le monde en arrive à aimer la lumière de Dieu, à travers nous.

Dans un monde où l'argent est devenu un dieu, donnez une autre image que celle d'être ses vassaux demande l'Evangile. Il nous propose une autre manière de vivre. Que le souci du bien-être personnel ne nous fasse pas oublier celui des autres ! Le Seigneur nous demande de mesurer avec intelligence, dans la foi et l'effort la prise en charge que requiert notre vie « Rendre à César... « et l'exigence que propose l'Evangile »Rendre à Dieu... ».

Le denier, l'argent, César sont les symboles et les signes d'une vie bouclée sur elle-même et aux antipodes de la richesse vitale de la vie Eternelle. Ce sont les « affaires de Dieu » qui doivent m'aider à faire le tri entre les soucis légitimes et les préoccupations excessives. Si la préoccupation angoissante des biens terrestres nous distrait des valeurs évangéliques, c'est que nous rendons à César des devoirs que nous devons à Dieu. L'Evangile attaque le problème au niveau le plus profond, au niveau de l'option pour Dieu. Serez-vous serviteur du César-argent, esclave et idolâtre ou disciples de Dieu, ami et frère du Seigneur ? Il n'y a aucune condamnation des richesses mais le rappel qu'elle doit rester un moyen de confort légitime, sans faux luxe, et un instrument possible de générosité et de solidarité.

En rendant à César ce qui lui appartient, nous respectons la fonction de l'argent : qu'il soit profitable et utile à soi et aux autres ! Ce n'est pas la richesse qui est condamnée mais son amour désordonné, la cupidité, l'avarice ou le gaspillage. C'est la tranche de pain trop sèche que l'on écarte chaque matin au petit déjeuner, par inattention ou facilité et ce sont des tonnes de farine jetées à la poubelle ! Laissons à César ces économies. Donnons à Dieu nos libéralités. Ce qui appartient à César constitue un « ordre » qui a sa valeur et son autonomie. Il faut respecter la vie civile et publique. Si le politique se situe à un plan inférieur à celui de la grâce, cela ne justifie d'aucune manière que le chrétien lui accorde indifférence ou mépris. Si vous ne vous occupez pas du politique, le politique, lui, s'occupera de vous !

Le domaine de César, des choses de la cité, a ses lois et il faut les respecter pour que la paix et l'harmonie règnent parmi les citoyens. Evitons en ce sens tout cléricalisme, l'argumentation de sa foi pour méconnaître les exigences légitimes de l'Etat. Mais, il importe de dénoncer tous les impérialismes, qu'ils soient de droite ou de gauche ! De droite, c'est en voulant se servir indûment de son pouvoir politique pour rendre plus vite à Dieu ce qui est à lui, sans respecter le pluralisme des lois de l'Etat. De gauche, c'est en asservissant à des intérêts politiques purement humains et terrestres son inaliénable liberté spirituelle. A ceux de droite je dirai : ne croyez pas que l'idéal soit un état où le politique impose ses lois au nom d'un principe religieux. Les seules armes de Jésus furent la vérité et l'amour et la Croix demeure le signe à jamais éclatant. A ceux de gauche, je dirai : si vous pensez qu'il n'y a pas de comptes à rendre au-delà de ceux qu'on doit à César, voyez dans l'histoire, ce qu'il advient de l'humanité lorsqu 'on tue en elle son effigie sacrée et sa soif d'infini et de beau.

Aussi, en conclusion, « Rendons à Dieu ce qui est à lui » c'est à dire convertissons à Dieu notre c½ur de pécheur puisqu'il porte en lui son image-même.

Que cette page d'Evangile nous inspire des attitudes vitales ! Vis-à-vis de l'Etat. N'ayons pas peur de nous engager pour promouvoir l'ordre des valeurs humaines qu'il représente dès lors qu'il sert efficacement la justice. Et vis -à -vis de Dieu, puisque notre c½ur est marqué à son image, rendons -le lui, ce c½ur de croyant. Vouons-lui notre amour et prions pour que tous les hommes, nos frères, découvrent un jour, au plus intime d'eux-mêmes, cette image, plus profondément incrustée que l'effigie de Tibère ne l'est sur la monnaie de Rome. Le seul signe qui donne son sens définitif à toute destinée de l'homme est la sainte effigie de Dieu, la sainte face du Seigneur.