29e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2008-2009

Quelles  places  pour  nos  ambitions ?

 

Poursuivant sa route vers Jérusalem, Jésus ne cesse de répéter aux disciples qu'il y sera arrêté et exécuté. Néanmoins, en dépit de ces avertissements répétés, les apôtres restent convaincus que Jésus va se manifester dans la capitale en tant que Messie triomphant et ils caressent le rêve de partager son pouvoir. Qui fera partie de l'équipe dirigeante ? Les chamailleries à propos des préséances crépitent et les plus malins cherchent à se positionner !   

 

Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s'approchent de Jésus:

-       Maître, nous voudrions que tu exauces notre demande.

-       Que voudriez-vous que je fasse pour vous ?

-       Accorde-nous de siéger, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ta gloire.

 

Pourquoi ces deux là ? Essai d'explication :

Passant près du lac, Jésus a d'abord appelé Simon et André (dont on ne dit rien d'autre que leurs noms) puis, un peu plus loin, Jacques et Jean, toujours signalés comme "fils de Zébédée", personnage qui doit être bien connu comme propriétaire d'une grosse entreprise de pêche car Marc note: "..laissant dans la barque leur père Zébédée avec les ouvriers, ils partirent..." ( 1, 16-20). Donc Jacques et Jean, fils d'un riche patron coté sur la place,  sont d'un milieu social plus élevé que Simon et André.

Or, quelque temps plus tard, Jésus décide de former un groupe de douze (3, 13): il place Simon à la tête en lui donnant un nouveau nom, signe d'une nouvelle vocation et de son rôle de fondement: Pierre, Rocher. Quant à Jacques et Jean, ils doivent avoir un tempérament "explosif" puisqu'ils reçoivent le surnom de "fils du tonnerre" ! On devine que ces "saints" garçons n'ont jamais accepté la nomination d'un pauvre pêcheur...d'où leur démarche finaude pour le court-circuiter: "Nous sommes bien plus dignes que ce pauvre Simon d'occuper les places d'honneur du futur gouvernement de la libération ! "

Quelle mesquinerie ! Jésus va leur révéler le prix qu'il faut payer pour cela.

 

-       Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire,  recevoir  le baptême dans lequel je vais être plongé ?

-       Nous le pouvons.

-       La coupe que je vais boire, vous y boirez; et le baptême dans lequel je vais être plongé, vous  le recevrez. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de l'accorder; il y a ceux pour qui ces places sont préparées.

 

- "boire à ma coupe" : le vin de ce temps déposant une lie abondante et amère au fond des amphores, l'expression était l'image d'une dure chute dans la souffrance (agonie de Jésus: "Père, écarte de moi cette coupe...")

-" recevoir le baptême" : le premier baptême, dans les eaux du Jourdain, était la promesse de la venue du Royaume, d'une existence plus pure, d'une joie débordante. A présent, Jésus annonce qu'il va être plongé dans "un second baptême": il sera englouti dans l'abîme de la souffrance, dans les eaux de la mort !

 

"Nous pouvons accepter ce destin " lancent les deux frères avec témérité. Las! dès que les soldats surgiront pour arrêter leur Maître, ils s'enfuiront avec tous les autres. Pourtant, sous la force de l'Esprit, Jacques sera décapité sur l'ordre du roi Hérode: en l'an 43/44, il sera le premier apôtre martyr. Mais on dit de Jean qu'il aurait vécu assez vieux.

Quant aux places à mes côtés, dit Jésus, seul Dieu peut les attribuer. Quelques jours plus tard, à la veille de la Pâque, Jésus agonisera sur la croix du Golgotha avec deux inconnus, "l'un à sa droite, l'autre à sa gauche" - sans doute deux résistants anonymes, qu'on appellera zélotes (15, 27).

 

SOCIETE  DE  CHEFS  ET EGLISE  DE  SERVITEURS

 

Les dix autres avaient entendu et ils s'indignaient contre Jacques et Jean.

 

Les deux Zébédée ne sont pas les seuls à manigancer pour monter en grade: tout le groupe au fond était travaillé par la même ambition et d'ailleurs, depuis un temps, ça discutait ferme entre eux pour savoir "qui était le plus grand " ! ( 9, 33 = 25ème dimanche).  Jésus tente de les convertir:

 

Jésus les appelle tous et leur dit: " Vous le savez: ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres; les grands font sentir leur pouvoir.

Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi  :        Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur.

                                                             Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous.

Dans  le monde, les nations et les sociétés sont organisées de façon hiérarchique: par nominations, par force, par élections, certains occupent des rangs supérieurs et exercent l'autorité sur leurs subordonnés. Le pouvoir est un champ de bataille où les ambitions se défient de façon plus ou moins policée !

Dans mon Eglise des Douze, ordonne Jésus, il doit en aller de façon tout à fait inverse!

Et il leur  répète ce qu'il leur avait enseigné à Capharnaüm: le plus grand sera le serviteur des autres, l'esclave de tous (9, 33 = évangile 25ème dimanche). Là, il leur avait donné l'exemple d'un enfant, ici il leur annonce solennellement le sens de sa prochaine destinée:

 

Car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir

et donner sa vie en rançon pour la multitude.

 

" Le Fils de l'homme": l'expression, nous l'avions déjà dit, ne se trouve dans les évangiles que sur les lèvres de Jésus. Il semble qu'il a voulu ainsi se désigner d'abord comme "un homme véritable" mais aussi comme réalisant la mystérieuse figure du rêve reçu par le prophète Daniel. Alors que les Empires successifs (Assyrie, Babylone, Grèce, Rome) étaient décrits sous les traits de fauves féroces ( primat de la force brute), après eux, annonce le prophète, viendra enfin un royaume "humain", de paix et de justice, l'Heure de la Fin et du Jugement de Dieu:

 

"Je regardais dans les visions nocturnes et voici qu'avec les nuées du ciel venait comme un Fils d'homme; il arriva jusqu'au Vieillard ( image de Dieu)...et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté; les gens de toutes nations le serviront car sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas et sa royauté ne sera jamais détruite"                           ( Daniel   7, 13...)

 

Mais - et ceci est extraordinaire ! - Jésus annonce que, s'il va réaliser cette figure du Fils de l'Homme, il ne le fera pas sous un apparat triomphal mais à la manière du SERVITEUR SOUFFRANT.

En effet, au temps de l'exil, un autre Prophète, qu'on appelle "le 2ème Isaïe", avait décrit sa vision épouvantable d'un homme accablé de tous les maux...mais qui mystérieusement donnait sa vie pour sauver ses frères humains, ceux-là même qui l'avaient rejeté et trahi. L'extrait de cette page bouleversante constitue la 1ère lecture d'aujourd'hui ( Isaïe 53, 10-11) :

 

"Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur Dieu. Mais s'il fait de sa vie un sacrifice d'expiation, il verra sa descendance, il prolongera ses jours ;par lui s'accomplira la volonté de Dieu.

A cause de ses souffrances, il sera comblé. Parce qu'il connaît la souffrance, le juste, mon Serviteur, justifiera les multitudes,  il se chargera de leurs péchés"

 

Les pauvres apôtres rêvaient du Royaume glorieux du Fils de l'Homme, de la Gloire éclatante d'Israël, des honneurs qui allaient leur échoir, de la destruction de leurs ennemis. Et Jésus, lui, a compris que la Royauté éternelle ne pouvait  se réaliser que par la souffrance, l'abjection acceptée.  

Il sera "rançon": non qu'un Dieu sadique exige un payement sanglant pour nous pardonner; ni encore moins que Jésus doive payer le diable qui nous tient en prison.

C'est lorsque l'amour est foudroyé qu'il éclate enfin dans sa vérité et son efficacité: Jésus, buvant la coupe de l'agonie et plongé dans un bain de sang, s'offrira pour nous, ses lâches et vaniteux disciples. Ainsi nous entrons, par sa grâce, dans le Royaume où il n'y a plus que des petits et où l'unique ambition est d'aimer jusqu'à donner sa vie.

Benoît XVI vient de déplorer qu'il y ait encore des hommes d'Eglise qui font passer leurs intérêts personnels avant le bien commun. Il y a encore des "fils Zébédée" ! L'ambition n'est pas morte !

Nous ne sommes plus une Eglise puissante et dominatrice: cette faiblesse est-elle notre joie ou notre honte ?

 

Seigneur, fils de l'homme et Serviteur souffrant,

                libère nos responsables de tout arrivisme et de toute jalousie.

Que ton Eglise fuie toute parade mondaine, toute envie de dominer et de régner.

Que ta Croix soit son unique honneur, sa seule gloire.

Gloire à toi qui a donné au père DAMIEN la grâce de chercher la dernière place au service de ses pauvres frères lépreux: que sa glorification en ce jour nous guérisse de nos mesquines vanités.