2e dimanche de Carême, année A

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Vous avez peut-être déjà lu par plaisir, par curiosité --ou sans doute à l'école par devoir-- une célèbre nouvelle écrite il y a tout juste 100 ans, par un auteur praguois. Je vous en propose un petit résumé... Voyons si vous vous souvenez du titre ! C'est l'histoire d'un homme, Gregor Samsa, qui se réveille un matin et découvre qu'il est devenu un insecte monstrueux. Alors qu'il tente de s'adapter à son nouveau corps, il se rend compte qu'il est en retard pour son travail. D'abord sa mère, puis son père et sa s½ur, viennent frapper à la porte de sa chambre, pour le faire sortir de son lit... Gregor réussit à ramper jusqu'à la porte de sa chambre, à ouvrir et à révéler sa nouvelle apparence. Sa mère s'effondre et son entourage s'enfuit...

Ce livre, c'est... la métamorphose de Kafka. Un court récit --très symbolique-- de la chute existentielle et sociale d'un être tout ordinaire, ?qui découvre l'absurde, l'absence de signification dans sa vie et ?le changement du regard des autres et de lui-même sur sa propre personne...

D'une certaine manière, la métamorphose de Kafka est la dynamique strictement inverse du récit de la transfiguration sur la montagne que nous venons d'entendre. La transfiguration, c'est lorsque nos regards donnent du sens, voient loin, au-delà des apparences ! Si je me permets la comparaison, c'est parce que dans l'évangile, le terme grec pour exprimer ce que nous appelons la transfiguration est bien metamorphè, métamorphose ! ?Il s'agit bien de la métamorphose de Jésus sur la montagne. Mais le récit d'Evangile, par contre, n'a rien de kafkaïen ! La métamorphose de Jésus n'est pas une fatalité, la descente d'un être dans l'infra humain, mais bien la révélation de Jésus tel qu'il est et la préfiguration de sa destinée. Sur la montagne, c'est le regard des disciples qui change !

En effet, Pierre, Jacques et Jean, à l'écart, ne font pas la rencontre d'un 'nouveau Jésus' --fût-il resplendissant. Tout au contraire, ils posent sur lui, un regard nouveau et lui donnent un nouveau visage. Ces disciples posent véritablement un regard nouveau sur Jésus en fonction d'un seul aspect qui conditionne toute leur vision : la résurrection que, dans le récit de l'Evangile de Matthieu, Jésus vient tout juste d'annoncer. Après cette annonce publique, les disciples ne peuvent dès lors que transformer leur regard qu'ils posent sur Jésus en fonction de cette clé de lecture décisive... pour ne voir en Lui, que le Christ resplendissant, préfiguration de sa résurrection.

Dès lors, ce que nous avons peut-être à réapprendre, c'est à découvrir la puissance de notre regard, la force d'une lecture confiante de la vie. ?Le regard que nous posons sur les personnes et sur nos histoires dit parfois plus que les mots. Et bien plus encore, notre regard constitue notre monde et la réalité qui nous entoure. Un regard aimant rend une personne aimée. Finalement, un visage n'a de sens et n'existe pleinement que pour les yeux et par les yeux qui le regardent.

En ce qui concerne Jésus, le récit de la transfiguration nous invite à ne pas le voir seulement comme un homme, éclairé et resplendissant, mais peut-être à voir Dieu en lui, source de toute lumière ; ?à le voir non pas comme un prophète de Dieu, comme Elie, ?mais comme le Dieu des prophètes ; ?non pas comme un homme de la Loi comme Moïse, ?mais comme la source de la Loi... ?Si Dieu a pour nous de multiples visages, c'est peut-être parce que nous avons de multiples manières de le regarder. Mais pour ne voir que Lui comme le font les disciples, il faut se lancer sur un chemin inconnu, partir, et comme Abraham, quitter le pays de nos certitudes, laisser derrière nous nos représentations, nos cocons qui nous rassurent, quitter la famille habituelle de nos visages de Dieu, quitter la maison qui nous sécurise... ?afin de rencontrer parmi les multiples visages de Dieu, celui qui donne réellement sens à nos vies, qui est source de bénédiction, ?qui ouvre toujours un chemin possible, ?celui sur lequel nous voulons poser notre regard, tout simplement.?
Des moments de vraies métamorphoses, nous pouvons toutes et tous en vivre. Là où nous parvenons à être --ne fût-ce qu'un instant-- en harmonie avec nous-mêmes, là où nous nous sentons compris, acceptés, aimé peut-être, pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous avons ou faisons. Et chaque fois que nous poserons sur les autres un regard lucide, qui ne juge pas, c'est peut-être la transfiguration de notre monde qui est, elle aussi en marche... Oui, un regard lucide --le mot le dit bien-- est une lecture de la vie pleine de lumière, un regard d'éternité! 

Chaque deuxième dimanche Carême, un récit de transfigutation nous est proposé. Peut-être parce que le Carême n'est pas un temps de préparation pour mériter Pâques, mais un temps de métamorphose, de vraie conversion, de transfiguration : même là où une situation semble kafkaïenne, un sens est toujours possible pour celui qui choisit la confiance et la bénédiction. Car lorsque notre regard se transforme, de la banalité du quotidien peut surgir un horizon nouveau, aux couleurs de l'éternité. Amen.