2e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2008-2009

UN SUCCES AMBIGU .... ET UNE OPPOSITION GRANDISSANTE

Jésus circule donc à travers sa province de Galilée (le Royaume commence là où l'on vit) : prophète, prédicateur, il se montre aussi guérisseur, thérapeute. Car le Royaume de Dieu n'est pas une réalité idéale, un rêve désincarné : il atteint les c½urs mais également les corps. Aussi son succès est-il immédiat ...mais très ambigu : ce que les gens demandent, c'est la guérison des maladies et des handicaps et ce qu'ils guettent, c'est le signal qui déclenchera la révolution triomphale ! Par ailleurs, les scribes et les pharisiens sont de plus en plus exaspérés par ce Jésus qui multiplie les déclarations blasphématoires : " Le Fils de l'homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre (2, 10).Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs (2, 17)...Je suis l'Epoux qui apporte le temps des Noces de Dieu ( 2, 19)...Le Fils de l'homme est maître du sabbat (2, 28)..". Pour qui se prend-il ??...Des accusations très graves sont lancées contre lui : " Cet homme a le diable en lui !!...C'est par le chef des démons qu'il chasse les démons" (3, 22)". La furie est telle que, très vite, certains d'entre eux ont décidé de le tuer (3, 6).

LE GRAND TOURNANT

Après un long temps de mission, Jésus emmène ses disciples près de la ville de Césarée et là il les somme de lui dire ce qu'il pensent de lui : " Tu es le Christ" répond Pierre. A nouveau Jésus leur ordonne de ne pas proclamer cela aux foules pour lesquelles Messie signifie chef de guerre.

Et il inaugure un enseignement tout à fait inouï : " Il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort, mais le 3ème jour il ressuscitera" (8, 31). Pierre sursaute, proteste contre cette éventualité mais Jésus le rembarre avec violence : " Derrière moi, satan !". Et à tous, foule et disciples, il déclare : " Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix...".

Là est le grand tournant, le deuxième après celui du baptême : Jésus a décidé d'annoncer le Royaume à Jérusalem donc d'y affronter ses ennemis dans leur fief, le Temple. Il y encourra la mort mais il est certain que son Père ne l'abandonnera jamais. Marc note bien que c'est peu après cette décision que se passe l'étonnante scène de la Transfiguration - évangile du jour

Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls à l'écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : ses vêtements devinrent resplendissants...Elie leur apparut avec Moïse et ils s'entretenaient avec Jésus. Pierre dit : " Rabbi il est heureux que nous soyons ici : dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie". Il ne savait que dire tant était grande leur frayeur. Survient une nuée qui les couvrit de son ombre et une voix se fit entendre : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé" ; écoutez-le". Soudain regardant tout autour ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.

Cette "transfiguration" n'est donc pas un prodige gratuit, une fulgurance divine pour ébahir les disciples, une parenthèse extatique. Au moment où Jésus a décidé d'obéir à son Père au prix de sa vie, Celui-ci lui répond en le rendant resplendissant de sa Gloire. Oui, il lui faut poursuivre sa mission jusqu'au bout, proclamer le message quoi qu'il en coûte. Les hommes le tueront mais Dieu lui rendra la Vie. Car faire advenir le Royaume, ce n'est pas seulement prêcher la Bonne Nouvelle et opérer des bienfaits : c'est aimer les hommes même quand ils vous suppriment.

"Ecoutez-le" dit la Voix de Dieu. L'ordre porte sur l'annonce des jours précédents : l'annonce de la croix vous semble une folie intolérable et vous avez envie de la rejeter comme absurde. Or, au contraire, c'est lorsque vous rêvez de violence et de prodiges que vous êtes du côté de satan et que vous prenez part à la destruction du monde. Il n'y a pas d'autre salut que dans l'amour authentique et " l'amour, c'est tout donner et se donner soi-même " ( St Thérèse de Lisieux).

Moïse et Elie, les piliers de l'histoire d'Israël, viennent encadrer Jésus. Les deux hérauts de la libération - qui ont jadis fait usage de violence - s'inclinent devant Celui qu'ils annonçaient. La Loi et la Prophétie culminent dans l'Evangile.

Et le pauvre Pierre, une fois encore, se trompe. Là il avait rejeté la perspective d'un Messie crucifié, ici il voudrait prolonger une grâce d'exception !...Mais il faut aller à la croix et on ne peut prolonger un moment fugitif de lumière. Une Nuée survient - symbole de la Présence de Dieu - et les englobe tous : l'Esprit rassemble autour de Jésus les grands personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament. Car il n'y a qu'une histoire du salut, un seul Sauveur qui unit tout en lui. Il ne faut plus faire des tentes, enfermer dans des niches, placer sur des piédestaux mais - travail bien plus ardu !- se laisser prendre dans la communion de Vie divine !! Nous sommes tous sous "la Tente de Dieu".

On le sait, la splendeur de la vision ne réussira pas à convaincre les apôtres : quelques semaines plus tard, Pierre, Jacques et Jean lâcheront leur maître en danger de mort. Mais après la prière du baptême dans le désert, après la prière de trans-figuration sur la montagne, Jésus vivra la prière de la dé-figuration par l'agonie au jardin des Oliviers. Pour la 3ème et dernière fois, il redira OUI à son Père : celui-ci l'introduira dans la Vie éternelle, il donnera l'Esprit et enfin le Royaume de Dieu pourra éclore et se répandre sur la terre. Le salut du monde sera effectivement réalisé.

Le carême est le temps où nous avons à nous approprier le message de mort et résurrection. Annonce terrifiante ! L'Eglise, comme Pierre, a souvent cherché à échapper à cette issue en affichant des signes de puissance ou en multipliant des bienfaits et des cadeaux. Mais sa mission essentielle est d'annoncer la venue du Royaume, de proclamer un Messie crucifié (1 Cor 1, 23), de dénoncer l'idolâtrie qui entraîne notre société à sa perte - et donc de subir critiques, sarcasmes et persécutions.

Elle doit même critiquer les responsables religieux lorsqu'ils remplacent la Parole de Dieu par des traditions humaines (Marc 7, 8). Car pour Jésus, le grand malheur de son peuple n'est pas dû à Pilate et ses légionnaires, ni aux pécheurs et malfaiteurs, mais bien à ceux qui faussent la religion.

S'il accepte d'entrer sur ce chemin de fidélité, le chrétien recevra des grâces de lumière. Tel ce malade vivant d'atroces souffrances, longtemps révolté contre son état, tenté par le blasphème, et que je trouvai un jour, le visage apaisé, comme rayonnant. " J'accepte", murmura-t-il. L'Esprit l'avait comme transfiguré : il pouvait aller au don total de lui-même.

Jésus ne cherchait pas à mourir : il voulait de toute son âme que la Vérité de son Père soit entendue et mise en pratique. Cette décision ne pouvait que lui attirer la haine et la mort. Regardons aujourd'hui son Visage de Lumière. Il est sans dépit ni impatience, sans rancune ni mépris. Il est le Visage humain, humano-divin que Dieu nous présente et où il nous dit : "Voilà comment je vous aime".

Seul l'amour rayonnant de cette face adorée nous permettra d'obéir à la Voix qui nous dit : " Jésus est mon Fils bien-aimé : écoutez-le , prenez son chemin, portez votre croix, suivez-le. Le gibet de la Croix est l'arbre de Vie".