Mc 1, 1-8
Jean Baptiste, que j'imagine hirsute et filiforme dans son désert a bien sûr quelque chose d'exceptionnel. Mais, en comparaison des prophètes qui prétendent parler au nom de Dieu aujourd'hui, notre Jean Baptiste a quelque chose de retenu, de mesuré, qui me surprend.
Il m'intéresse parce qu'il connaît quelque chose que nous vivons aussi. Jean Baptiste attend la venue du Messie, nous attendons son retour. Première ou dernière fois, dans un cas comme dans l'autre, il faut se préparer ! Le Messie va-t-il tolérer pareil désordre établi ? La paix de Dieu peut-elle tolérer que les soldats restent soldats ? Les financiers peuvent-ils continuer à trafiquer avec l'argent si l'on veut que la mondialisation cesse de sacrifier tant d'innocents ?
Préparer les chemins du Seigneur au temps de Jean Baptiste, construire le Projet de Dieu aujourd'hui, c'est lutter à mort -c'est-à-dire « à vie »-, contre tous les trafics d'armes, de drogues et d'humains. Pour nous comme pour les contemporains du Baptiste, la venue des derniers temps exige de grands bouleversements ! Impossible de vivre l'Avent sérieusement sans tout révolutionner ! Mais où se trouve le changement le plus profond ?
Il y en bien sûr qui vivent Noël comme une gentille fête folklorique, tournée vers le passé. Mais ils n'ont rien compris ! Les chrétiens ne marchent pas à reculons. Pour nous, l'histoire n'est pas circulaire mais linéaire et irréversible. De même qu'elle a commencé, elle finira ! Nous rappelons la venue du Messie parce que nous attendons son retour définitif !
Le passé est avant tout un élan vers l'avenir car l'incarnation du Verbe en Jésus de Nazareth est le point de saisie du cosmos tout entier. L'histoire aura une fin, un accomplissement et, de même que Jean Baptiste préparait les chemins du Messie, nous travaillons, nous, au grand projet de Dieu. Nous attendons la Parousie, la manifestation triomphale du Ressuscité. Nous croyons qu'il achèvera et récapitulera en lui tout l'univers.
Dans cette perspective, découvrir que Jean Baptiste est mesuré, me fait prendre conscience, dans la cacophonie des exaltés, qu'il y a dans la foi chrétienne un équilibre et une retenue, une limite et un respect, sans équivalent.
Le discours de Jean Baptiste est modéré. Tout d'abord c'est un discours social ! Jean Baptiste est bien fils de Zacharie, prêtre de Jérusalem, mais il ne parle jamais du Temple ni ne s'intéresse aux sacrifices sanglants. Ensuite son programme est mesuré : partager et ne pas faire d'excès. « Celui qui a deux habits, qu'il partage avec celui qui n'en a pas ; celui qui a de quoi manger, qu'il fasse de même ! » Aux collecteurs d'impôts, il demande de se satisfaire de la marge fixée ; aux soldats, de se contenter de leur solde. C'est tout, c'est peu ! Les financiers restent financiers et les soldats, des soldats !
J'en connais beaucoup qui auraient dit aux militaires : changez de métier, devenez non-violents et aux collecteurs d'impôts : entrez en dissidence, cessez de collaborer, devenez mendiants ! Mais Jean Baptiste est celui qui sait accepter l'autre comme différent. Tout, chez lui, est dans la limite consentie. Il ne cherche pas à transformer le monde en un immense couvent !
A l'opposé du fanatique qui détruit l'autre ou cherche à le conditionner, Jean Baptiste reçoit l'autre, tel qu'il est. Il a compris qu'il faut lui laisser de la place : préparer les chemins de Dieu, c'est se préparer à l'accueil. Il limite son propre champ pour que l'autre puisse se manifester. « Il faut qu'il grandisse et que je diminue ». Il s'efface, comme devant une porte, on s'efface pour introduire quelqu'un. Il jeûne et s'affaiblit, se préparant à recevoir (Mt 11, 18). Le Baptiste est célibataire mais il n'a rien d'un vieux garçon ! Il désire l'autre, prépare sa venue et respecte celui qui vient après lui.
Jean Baptiste m'impressionne par sa discrétion. Il ne se prend pas pour le Messie. Il ne s'imagine pas non plus son impresario (Jn 3, 27-30). Il ne prétend pas accélérer la venue du Messie par sa prédication. Le don de Dieu s'accueille mais ne se produit pas ! Homme de désir, Jean Baptiste reste patient. Il est la voix qui indique le Verbe. Il est la lampe qui annonce le soleil levant. Il est l'ami qui introduit l'Epoux. Jamais il ne se confond avec celui qu'il annonce et qu'il attend.
Pour résumer, je dirai que Jean Baptiste est celui qui accepte pleinement la condition humaine. Il n'attend pas Dieu aux extrêmes. Il vit dans le désert mais il n'est pas fakir. Il mène une vie proche de la nature, en homme libéré, simplifié, humanisé. Avec sa peau de chameau, son miel sauvage et ses criquets, il est une sorte d'Adam primitif, un grand innocent.
Comme Moïse, il conduit son peuple au désert. Comme Josué, il lui fait franchir le Jourdain pour entrer dans la terre promise, près de Jéricho. Il reprend les symboles pédagogiques de l'Exode et de la Pâque pour conduire le peuple à une démarche de conversion. Jean Baptiste a deux intuitions, étroitement liées : le Christ ne vient pas au terme de ses efforts et la réconciliation avec Dieu est un don à recevoir. A l'opposé de ce qu'imaginent les pharisiens, le salut n'est pas le trophée des champions de la Loi, mais un pur cadeau d'amitié, offert aux grands pêcheurs quand ils reviennent humblement vers Dieu.
J'insiste donc sur ce point, mes amis : ne croyons pas non plus que le Christ se manifestera comme le résultat de notre agitation. Notre défaut est d'en faire beaucoup trop et notre hyperactivité nous sert d'alibi pour ne pas même apercevoir notre voisin immédiat.
Tant pis si nous faisons pâle figure dans un monde d'excités : respectons les limites de notre condition. Nous n'avons pas à être des surhommes toujours géniaux ! Etre limité n'est pas un péché, c'est la condition d'humanité ! Et il s'agit d'accueillir un Dieu qui se fait humain !
Comme Jean Baptiste, faisons place à l'autre, partageons ce que nous avons et transformons nos relations humaines, même limitées, en relations d'amour. C'est ainsi que nous serons prophètes. C'est en devenant humains que nous accueillerons Dieu (Jn 10, 31-39 ; 17, 21).