Comment ne pas être épouvanté à l'écoute de la première lecture de ce dimanche ? Dieu demande à un père, Abraham, de lui sacrifier son fils !? Et comment ne pas juger cette initiative totalement absurde puisque peu avant ce Dieu lui-même a promis d'offrir sa bénédiction au monde par le truchement de ce fils unique, Isaac !!?.....Dieu sadique ? Dieu qui se contredit, qui saborde son projet ? Quelle est cette divinité odieuse, ce moloch sanguinaire ?...
La clé de l'énigme se trouve peut-être dans le chapitre précédent de la Bible. On y apprend que le vieil Abraham a noué alliance avec un roi païen et qu'il a séjourné pendant très longtemps dans le pays des Philistins. Or on sait que les peuplades païennes pratiquaient le sacrifice des nouveau-nés : ainsi, lorsqu'un roi s'apprêtait à partir en guerre, il faisait parfois immoler son premier né dans l'illusion que la divinité, touchée et forcée par cette générosité héroïque, l'assurerait de la victoire. A Carthage (comptoir des Phéniciens - dans l'actuelle Tunisie), on voit encore les vestiges de plusieurs petits autels de pierre contenant des ossements d'enfants.
En Israël, tout au contraire, cette coutume barbare avait été strictement et absolument interdite par le Seigneur YHWH. Hélas, en dépit des rappels véhéments et des menaces des prophètes, elle se pratiquait quand même dans le fameux ravin de la géhenne aux abords de Jérusalem.
Ces renseignements permettent d'éclairer quelque peu notre épisode.
En contact prolongé avec des païens, Abraham a pu se laisser contaminer par leurs croyances et en venir à penser que les dieux (ELOHIM) exigeaient en effet qu'il leur sacrifie son fils. Mais au moment fatidique, le seul et vrai Dieu, YHWH, a arrêté son bras.
Cela signifie que les dieux imaginés par les hommes sont animés par nos impulsions les plus basses et les plus cruelles tandis que le seul vrai Dieu, YHWH, tel qu'il s'est révélé à Israël, refuse absolument ces ignominies. Lui qui crée chaque être humain "à son image et à sa ressemblance", il appelle les pères et les fils à vivre dans la concorde et l'amour. Au cours de ces siècles, il les éduque à décharger leur cruauté sur des offrandes d'animaux. En outre, en conseillant à Abraham d'immoler un bélier (non un agneau), il lui apprend que c'est "le vieux" qui doit s'effacer devant "le jeune".
A ceux qui s'offusqueraient de "la dureté" de ces temps anciens, rappelons qu' aujourd'hui à la génération qui a demandé le droit de supprimer les enfants, ceux-ci répliquent en proposant l'euthanasie des anciens. Et que l'on continue, partout, à envoyer les jeunes classes aux casse-pipes. Et que le plus gros pourcentage des chômeurs est celui des jeunes.... !! Abraham et Isaac n'ont pas fini de faire la paix.
LA REVELATION PERE-FILS DANS L'EVANGILE
Avec l'Evangile, la Révélation va encore effectuer un progrès décisif : cette fois nous ne sommes plus stupéfaits et horrifiés mais bouleversés et émus jusqu'aux larmes.
La relation père/fils réapparaît lors du baptême lorsque YHWH se révèle PERE puisqu'il s'adresse à Jésus en lui disant ::
" TU ES MON FILS BIEN AIMÉ : AUJOURD'HUI JE T'ENGENDRE"-----
formule qui marquait l'investiture d'un nouveau Roi.
Après avoir, pendant des siècles, envoyé des prophètes, maintenant Dieu envoie son FILS qu'il charge d'inaugurer son Royaume parmi les hommes. Ce vrai Dieu qui n'est qu'Amour, ne veut naturellement pas la mort de son Fils : il veut qu'il vive et qu'il apporte la vie aux hommes.
Mais ce projet bouscule de fond en comble les conceptions et les m½urs humaines, il exige sur le champ de modifier profondément le style de vie, les rapports à Dieu et au prochain, il dévoile la dureté des c½urs (même pieux) et les mensonges cachés dans les liturgies des temples. C'en est trop : ce Jésus qui se prétend FILS ne peut être qu'un blasphémateur, un escroc et il faut le supprimer.
Et l'incroyable va survenir.
Au lieu d'empêcher le meurtre de son FILS, et de foudroyer ses ennemis, au lieu d'arrêter les clous prêts à être enfoncés dans sa pauvre chair, le PERE accepte de l'abandonner à la haine des hommes( cf. St Paul : 2ème lecture)
Et JESUS, le FILS, accepte - dans l'angoisse avec peine surmontée - d'aller au bout de la réalisation du projet de son PERE : non seulement prêcher la Bonne Nouvelle, non seulement guérir les corps, mais mourir en s'offrant pour les hommes :
" Ceci est mon corps livré pour vous...Ceci est mon sang versé pour vous...PERE, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font...".
LA TRANSFIGURATION AVANT LA DÉFIGURATION
Cette décision certes n'a pas été facile à prendre : être le nouvel Isaac qui, cette fois, est mis à mort !. C'est dans la prière, dans les heures et les nuits de solitude, que Jésus a perçu que l'humanité ne pouvait être sauvée que si le pardon lui était accordé au moment même où elle s'abîmait dans la haine la plus noire.
Un jour, il a révélé à ses disciples le sort qui l'attendait : " Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, Qu'il soit rejeté...mis à mort...Mais il ressuscitera" ( Marc 8, 31). Cette décision prise et communiquée, alors pouvait arriver la scène de l'évangile d'aujourd'hui - unique et fugitif moment de réconfort sur la route du Golgotha.
Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène à l'écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux...Elie leur apparut avec Moïse, ils s'entretenaient avec Jésus. Pierre dit : " Rabbi, il est heureux que nous soyons ici, dressons trois tentes...". Il ne savait que dire...Survint une nuée...Une voix retentit :
" Celui-ci est mon FILS BIEN AIME : écoutez-le"...
Soudain ils ne virent plus que Jésus, seul avec eux
Aujourd'hui nous fixons, dans "la nuée" de la foi, ce VISAGE éclatant de beauté : il nous assure que "celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais que celui qui perd sa vie pour Jésus la sauvera", il nous promet de connaître, nous aussi, des éclairs de lumière et de joie profondes...si nous acceptons les renoncements que l'amour exige.
Il nous donne la force de serrer les dents et de prendre le chemin dont tout, dans notre société, nous presse de nous détourner. Il fait sourdre, dans nos c½urs, meurtris par les épreuves de la vie, une joie mystérieuse que le monde ne connaît pas. Il fait s'effriter les visages faussement heureux des idoles.
Il permet aux pères et aux fils de vivre la réconciliation.