Mais pourquoi saint Luc s'encombre-t-il l'esprit et donc le nôtre également de tant de détails tout à fait insignifiants. Ces derniers ne semblent rien apporter au récit : l'an 15, Pilate, Tibère, Hérode, Philippe, Traconitide, j'en passe et des meilleures. Il avait peut-être le goût de l'histoire mais quand même. Il y a moyen de prendre des chemins nettement plus rapides pour aller droit au but. Le message est très simple, juste une phrase, une petite phrase, la dernière : « et tout homme verra le salut de Dieu ». Il ne fallait rien dire de plus, tout est résumé en ces quelques mots. Ils se suffisent eux-mêmes. Oui, mais si nous n'avions pas eu tous ces petits détails en introduction aurions-nous pu nous préparer à recevoir une telle bonne nouvelle ? C'est un peu comme si on lisait l'évangile en commençant la célébration. D'abord, il y aurait tous ceux qui l'auraient manqué parce que leurs montres n'indiquaient pas la bonne heure ou que la nôtre avançait, et seraient arrivés en retard, puis il y a tous les autres, qui n'auraient pas eu le temps d'entrer dans un tel texte sans aucune rupture avec ce qu'ils faisaient avant.
Il y a donc lieu de se préparer. Tout simplement. Une bonne nouvelle se prépare à être reçue, pour être ensuite intériorisée. De la sorte, elle n'est pas seulement quelques phrases gribouillées sur le coin d'un parchemin, elle est devenue vie en nous. Alors heureusement que saint Luc a pris le temps, il nous permet de nous préparer. Et cette préparation à laquelle nous sommes conviés est une invitation personnelle faite à chacune et chacun d'entre nous. Pas moyen d'y réchapper, comme s'il y avait un RSVP (ou RSLP) dans le coin inférieur gauche de l'invitation et ce avant le 25 décembre de ce mois, s'il vous plaît. Il nous reste peu de temps pour aplanir cette route, notre chemin nous conduisant vers Dieu puisque c'est bien de cela qu'il s'agit en ce temps de l'Avent. Dieu, ce soir, nous fixe à nouveau rendez-vous pour une grande fête, celle de sa rencontre en notre humanité. Il nous indique l'endroit, c'est-à-dire au plus profond de nous-mêmes. Et malheureusement pour nous, il ne nous indique pas le chemin à suivre. A chacune et chacun de le trouver, à partir de son histoire et de ses certitudes. Il y a autant de chemins qu'il n'y a de personnes dans cette assemblée. Cependant, c'est la même voix, celle de Jean le Baptiste qui crie dans nos déserts intérieurs : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route.
Qu'est-ce à dire ? Tout simplement, inviter Dieu à entrer en nous, et cela exige un fameux remue-ménage. Nos routes intérieures sont tortueuses de nos maladresses, parsemées de nid-de-poule d'hésitations et d'objections, glissantes de nos trébuchements et nos hésitations, durcies par nos entêtements. Elles ressemblent drôlement à certaines routes de Rixensart... Nous pourrions alors nous morfondre face à l'immensité de ce travail. Mais ce ne serait pas lire et comprendre l'évangile de ce soir jusque dans son dernier drapé : tous les hommes verront le salut. Une telle phrase serait une promesse de rêveur si elle ne nous ramenait à ce qui doit être sauvé en chacune et chacun de nous. Comme si se préparer c'était creuser dans notre terre propre jusqu'au moment où nous atteignons cette source d'eau claire à laquelle nous pouvons à nouveau venir nous abreuver, nous ressourcer pour repartir à la conquête de notre être intérieur, lieu de la rencontre avec le Christ. C'est faire de la place, enlever le secondaire et ainsi retrouver l'essentiel de nos existences.
Et si l'essentiel c'était d'oser à nouveau croire et proclamer à voix forte que Dieu s'est fait homme pour nous sauver. Mais, qu'est-ce, au fond, l'idée de salut ? Essentiellement ceci : que les choses peuvent être reprises, que rien n'est jamais perdu, définitif. Tout peut toujours reprendre, rien n'est inexorable, bref tout peut être sauvé. Comme s'il y avait une sorte de surabondance dans la venue de Dieu en nous. Si c'est tout cela, alors je crois que cela vaut vraiment la peine de s'y préparer.
Amen