2e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2008-2009

Ludwig Von Beethoven : le génie de la transition du classicisme au romantisme, un compositeur d'un autre monde dont, cependant, un aspect m'a souvent laissé perplexe. En effet, musicalement, je suis un baroque, un disciple de Bach qui veut que la composition soit presque mathématique ! Beethoven m'a, quant à lui, souvent semblé incapable de terminer de manière claire ses mouvements... Cela traîne, s'éternise parfois, comme si le silence était pour lui une gêne... En écoutant Beethoven, j'ai parfois l'impression qu' il ne sait finalement pas parfaitement où il veut aller : une ligne musicale, telle une conclusion, semble souvent sceller un mouvement, quand soudain le thème recommence par surprise quelques portées suivantes ! Ecoutez toujours le final de la symphonie n°5 en Do mineur pour vous en convaincre !

Si je vous dis cela, c'est parce qu'une impression toute opposée m'est venue à la lecture de l'évangile de ce jour. Le passage que nous venons d'entendre est véritablement le sommet, la conclusion ultime de cet évangile. Après ce passage, il ne faut rien rajouter. De toutes les confessions de l'évangile de Jean, celle de Thomas est la plus complète, la plus parfaite, la plus haute. Thomas est la seule personne dans tout l'évangile qui adresse le mot 'Dieu' directement à Jésus. Il ne sert donc à rien de rajouter encore une idée, un thème... L'évangile de Jean peut se conclure ici, en questionnant notre foi, et -je dirais- nos manques de preuve.

Cependant, Thomas, malgré sa puissante confession, est le symbole de celui qui arrive après, en retard je dirais. Il arrive après Marie Madeleine, après les disciples. Il est le symbole des générations subséquentes de chrétiens. En ce sens, il est notre jumeau. Il est le jumeau des croyants en recherche. Comme Thomas, nous voudrions voir, savoir... toucher même. Et il est vrai que c'est une des envies les plus humaines qui soient : n'avons-nous pas parfois le sentiment d'exister quand nous touchons, quand nous prenons un être aimé dans nos bras. N'avons nous pas ce sentiment de croire -en nous ou en l'autre- d'être assuré et réassuré, quand une place est donnée au contact physique afin que la vérité apparaisse ? Cependant, un des paradoxes de l'humain est que ce qui nous rapproche, nous sépare également. Notre corps est ce qui nous rapproche par excellence de l'autre, mais il est également ce qui nous en sépare. Le Christ ressuscité nous rappelle aujourd'hui, à la finale de l'évangile de Jean, un dimension constitutive de notre être : nous sommes des êtres de contacts et de relations, ayant le désir profond de voir, de sentir, de toucher, d'aimer. Mais cependant -je dirais 'au même instant'- nous sommes des êtres bâtis sur des manques. Si nous avons comme Thomas l'envie de preuves ou de toucher pour croire, le Christ ressuscité nous rappelle que le sentiment d'être comblé est une illusion qui ne voit pas la réalité telle qu'elle est. Il nous dit : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », comme si l'écart et la distance étaient nécessaires à notre bonheur. Et Jean de conclure : Il y a encore beaucoup d'autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit. » Comme si la finale de Jean au chapitre 20 s'achevait une fois de plus sur un manque.

Nous sommes en effet bâtis sur un manque originaire, des failles, des doutes. Ces manques ne doivent pas être vécus comme des frustrations, mais comme des appels à regarder positivement nos désirs. Ces manques constituent ce que nous sommes, et n'existent pas en dépit de nous. Ils ne sont pas à regarder comme des absences qui nous empêcheraient d'être nous-mêmes. Bien au contraire. Comme le dit un philosophe allemand (Martin Heidegger), 'le vide n'est pas un défaut.' Et de même que le silence précède la parole et la permet ; l'écart, la distance, le manque nous permettent d'être nous-mêmes, car il n'y a pas de résurrection sans tombeau vide.

Il nous faut donc des espaces de vide, de distance et de questionnement pour exister. Et tel est bien un des sens du commandement fondamental du rejet de l'idolâtrie. L'idolâtrie signifie 'vouloir tout de suite et maintenant un plein'. L'idolâtrie n'est donc 'pas une erreur sur Dieu, mais une erreur sur l'homme' (Gesché). C'est l'illusion de croire que l'homme peut se passer du manque. Mais le Christ ressuscité nous invite peut-être aujourd'hui à redécouvrir que le bonheur ne passe que par l'acception de nos manques, et non pas par le comblement de ceux-ci. « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » nous dit-il. L'intégrisme, le conservatisme, le fondamentalisme, le sectarisme, le repli sur soi, sont autant de réactions fondées sur cette peur de se trouver devant un vide. Mais le Christ ressuscité nous dit : « Heureux, ceux qui croient sans avoir vu ». Heureux ceux qui croient sans sécurités ; ceux qui, pour paraphraser le livre des Actes, « possèdent sans être propriétaires ».

Maintenant, vous pourriez me rétorquer que je deviens un peu romantique à la Beethoven, et qu'on a du mal à voir la fin de mon sermon... Sans doute. Permettez-moi alors, -comme dans une bonne structure symphonique- de réintroduire en conclusion le thème par lequel j'ai commencé, simplement sous forme de question. Beethoven, compositeur devenu sourd à la fin de sa vie, n'écoutait-il pas, sans entendre ?

Dans nos existences, à notre tour alors d'être heureux dans nos manques ; de croire sans voir, de vivre sans preuves et sécurités. Amen.