Il y a huit jours, dans une grande envolée de cloches et d'alleluia, l'Eglise a proclamé la grande nouvelle : Christ est ressuscité ! Pas plus que dans les siècles précédents, ce message n'a entraîné l'adhésion unanime des foules. Nombreux sont ceux qui, tout au long de l'histoire (occidentale spécialement), sont restés sceptiques, incrédules, exigeant des preuves.
Dans la dernière page de son évangile, Jean fait droit à cette attitude en mettant en scène Thomas l'incrédule, dont nous sommes sans doute tous plus ou moins le juneau. Accepter que Jésus est ressuscité est en effet un tel défi à la raison raisonnante, cela implique un tel retournement d'existence, que l'on ne peut s'engager que de manière personnelle, après mûre réflexion et avec de bonnes raisons. Thomas l'incrédule nous apprend à n'être pas trop vite crédule. La foi chrétienne n'est pas un acte naïf ni un acquis sociologique.
D'aucuns souhaiteraient peut-être que le Christ reproduise pour eux son geste vis-à-vis de Thomas. Au fait, n'aurait-il pas institué les signes de son nouveau type de présence de Christ Ressuscité ? L'assemblée eucharistique n'est-elle pas ce signe ? Cette page d'évangile nous donne quelques indications sur le sens de celle-ci.
Le premier message du Christ Ressuscité est « paix à vous ». Le Christ Ressuscité est un Christ qui apporte la paix, une paix profonde. Le mot « shalom » de l'hébreu biblique ne relève pas d'abord du vocabulaire politique ou militaire. Il évoque les idées d'accomplissement, d'apaisement intérieur, d'équilibre des choses. Le Christ, par son souhait, ne nous apporte pas l'absence de conflit ; il veut nous apporter cette assurance intérieure qui devrait nous débarrasser de toute peur, de toute crainte d'éléments extérieurs. Il n'est plus nécessaire de verrouiller les portes.
Au contraire, et c'est une seconde indication, le Christ invite l'assemblée à partir en mission : « de même que le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Bien plus que de l'exécution d'une mission particulière, il s'agit d'une responsabilité fondatrice de l'assemblée : être-Christ-pour-le-monde, apporter à notre tour cette présence de paix, profonde et intérieure, du Christ Ressuscité.
Pour accomplir la mission qui lui est confiée, l'assemblée (l'Eglise) reçoit l'Esprit qui l'institue, pourrait-on dire, juridiquement. Dans l'allusion au pouvoir de remettre les péchés, on peut identifier un problème grave aux origines de l'Eglise : celui des convertis qui reniaient le Christ dès les premières intimidations des autorités publiques. D'avance le Christ nous donne ce pouvoir énorme de refaire le lien à l'Eglise qu'il a instituée.
En insistant, d'autre part, sur la réalité physique des plaies de Jésus, l'évangéliste répond à une autre polémique ancienne : le docétisme. Dans un monde culturel influencé soit par le dualisme grec, soit par le dualisme mésopotamien, le Christ ne pouvait être qu'un homme ou qu'un dieu. S'il était dieu, il ne pouvait avoir souffert comme un homme. Face à cela, l'enjeu de la foi chrétienne était de soutenir que le Christ-Dieu avait pleinement assumé la condition humaine, condition nécessaire pour la sauver pleinement. D'où l'insistance sur l'identité entre le Crucifié et le Ressuscité.
« Nous avons vu le Seigneur », tel était le cri d'émerveillement des disciples. Tel devrait être le cri d'émerveillement de tous ceux qui, de nos jours, regardent de l'extérieur les assemblées de chrétiens. Et certes, si nous correspondions à l'image qu'en suggère l'épître de Jean ou les Actes, tous les Thomas parmi nos contemporains verraient alors de leurs propres yeux la fécondité de la victoire du Christ sur le mal. La question est lancée à nos communautés comme un défi : que donnons-nous à voir ?