2e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014


Depuis l'Avent, c'est déjà la 4ème fois que la liturgie nous parle de Jean dit le Baptiste : c'est dire la grandeur de ce personnage que Dieu avait chargé d'une mission capitale et qu'il importe de situer vis-à-vis de Jésus. Aujourd'hui l'évangile de Jean nous rapporte le témoignage solennel que le Baptiste rend à Jésus mais le texte en lecture omet l'indication par laquelle il est introduit : «  Le lendemain, comme Jean Baptiste voyait Jésus venir vers lui... »

LA RE-CREATION AU RYTHME DE LA SEMAINE

Or il est très intéressant de remarquer que saint Jean commence son livre par l'expression « Au commencement » puis enchaîne une série de petites scènes par « le lendemain... » et termine par « le 3ème jour » à Cana  de sorte que l'évangile commence par UNE SEMAINE comme le livre de la Genèse. Que veut-il dire ? Que Jésus n'est pas seulement un prophète, comme Moïse ou Jérémie, qui vient énoncer des lois, des règles de vie, mais qu'il est la Parole créatrice, « le Verbe » par lequel Dieu a créé le monde et qui aujourd'hui l'achève en  re-créant l'humanité pécheresse. L'Incarnation, la venue de Jésus dans le temps rythmé par la semaine est donc l'événement le plus extraordinaire : l'accepter, croire en Jésus, c'est vivre le temps dans son intensité suprême.
1) Au commencement Dieu dit : « Que la lumière soit »...et il créa l'un après l'autre, tous les éléments du cosmos...et il voit « que tout est très bon ».
2) Au re-commencement, la Parole est chair en Jésus qui rencontre l'un après l'autre ses disciples, leur donne l'Esprit et les rassemble le « 3ème jour » (comme à Cana...comme à la Résurrection) càd. chaque dimanche, afin de partager l'ivresse de la foi et de la communion enfin possible (L'Eucharistie).
Tel est le temps transfiguré que la foi nous permet de vivre : il n'est pas répétitif, course à l'abîme, éternel retour mais constitution de la communauté pacifiée par la Parole de Vie et le Vin de la Joie.

JEAN LE BAPTISTE : UNE VOCATION EN RECHERCHE

Comme son père Zacharie, Jean était prêtre, destiné à célébrer les liturgies et offrir les sacrifices au temple de Jérusalem. Or curieusement il s'est détourné de cette fonction comme le dit saint Luc : « il s'en alla dans les déserts »(1,80). Cette notation énigmatique peut sous-entendre qu'il a rejoint la communauté essénienne de Qumran, ce « monastère » fondé par des prêtres révoltés contre les grands prêtres du temple et devenu célèbre par la découverte des « manuscrits de la mer Morte ». Ses membres s'appliquaient à l'étude permanente de la Loi, à sa stricte observance et ils se purifiaient par des ablutions et des bains sans cesse répétés. Jean a-t-il vécu là un temps ? Toujours est-il que les évangiles nous le présentent comme un ascète solitaire, un prophète véhément qui confère un baptême unique en vue de la conversion. C'est là qu'un jour, il comprendra les limites de son ministère et il désignera Jésus comme seul capable d'apporter le salut au peuple. Quel itinéraire ! Non aux sacrifices d'animaux, puis non à la communauté ascétique à l'écart du monde, puis non au ministère prophétique. Heureux ceux qui continuent à chercher leur mission dans l'Eglise.
Jésus, lui, vivra parmi les hommes, ignorera Qumran, dénoncera le culte hypocrite du temple et sera mis en croix. De ce fait, il sera l'AGNEAU DE DIEU QUI ENLEVE LE PECHE DU MONDE. Quel est le sens de cette expression mystérieuse qui est proclamée à chaque Eucharistie ? Elle fait référence à deux faits capitaux de l'histoire d'Israël.

L'AGNEAU DE DIEU QUI ENLEVE LE PÉCHÉ DU MONDE.

Le lendemain, comme Jean Baptiste voyait Jésus venir vers lui, il dit :                                 « Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. C'est de lui que j'ai dit : ' Derrière moi vient un homme qui a sa place devant moi, car avant moi il était'. Je ne le connaissais pas ; mais si je suis venu baptiser dans l'eau, c'est pour qu'il soit manifesté au peuple d'Israël. »
Pendant des siècles, les Hébreux avaient été soumis aux travaux forcés en Egypte et menacés de génocide. Anciens bergers, ils avaient coutume de célébrer, à la première lune, la fête de Pessah : on y immolait un tout jeune agneau, on tâchait de son sang les piquets de tente, on le consommait debout, puis on se dispersait avec les troupeaux. Or une année, sous la guidance de Moïse, en cette nuit, les esclaves purent s'enfuir et gagner leur terre. Pessah devint la fête de la libération et celle-ci avait été obtenue non par le combat mais par le sang de l'agneau.

Les siècles passèrent et Israël connut l'humiliation d'être occupé par les armées étrangères : pire, en - 587, Jérusalem et son temple furent détruits et le peuple envoyé en exil à Babylone. Tout semblait terminé. C'est alors qu'un prophète anonyme, que l'on appelle le 2ème Isaïe, auteur de Isaïe 40-55, lança la bonne nouvelle du retour au pays et, dans son livret, il fit plusieurs allusions à un mystérieux Serviteur de Dieu (c.à.d. à un homme absolument fidèle à Dieu) et il écrivit la page la plus ahurissante de toute la Bible  (lire Is 52, 13 à 53, 12) :
« Il est méprisé, rejeté par les hommes, homme de douleurs...Or ce sont nos souffrances qu'il porte. Nous l'estimions frappé par Dieu mais il était broyé à cause de nos perversités. Dans ses plaies se trouve notre guérison... Brutalisé, il s'humilie, il n'ouvre pas la bouche comme un AGNEAU traîné à l'abattoir...Ayant payé de sa personne, il verra une descendance...Lui, mon Serviteur, il dispensera la justice au profit des multitudes puisqu'il s'est dépouillé jusqu'à la mort et il a porté les fautes des multitudes »
Qui est ce Serviteur ? Israël lui-même qui a tellement souffert, disent les rabbins. Mais les premiers chrétiens, d'abord épouvantés par la croix et la mort de Jésus, comprirent : Jésus s'est offert, comme un agneau muet, comme le Serviteur, pour nous libérer du péché. Le diacre Philippe l'explique au ministre éthiopien (Ac 8, 32) et Pierre l'interprète aussi (cf. 1 Pi 1, 29 ; 2, 22).
L'Exode était donc prophétique d'une libération bien plus essentielle, la sortie hors du royaume du mal.
Le véritable agneau pascal qui libère du mal, c'est Jésus qui a été mis en croix, criera saint Paul : « Le Christ, notre pâque, a été immolé » (1 Cor 5, 7)

JESUS, PAR L'ESPRIT, RECREE LES HOMMES

Ensuite Jean-Baptiste explique pourquoi il peut rendre ce témoignage  à son disciple qu'il reconnaît comme le Sauveur qu'il ne peut être lui-même :

Alors Jean rendit ce témoignage : « J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : 'L'homme sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit Saint.' Oui, j'ai vu, et je rends ce témoignage : c'est lui le Fils de Dieu. »
Jean a fait une expérience particulière, il a vu, il a saisi que Jésus était plus qu'un prophète qui reçoit « un coup de main » de l'Esprit de Dieu pour remplir une mission temporaire. Jésus, dit-il, a reçu l'Esprit de Dieu de façon complète et définitive. Il est descendu sur lui comme la colombe qui, à la fin du déluge destructeur, apportait le rameau d'olivier. L'Esprit « demeure en lui » et ainsi est proclamée au monde entier la fin du châtiment, la paix retrouvée avec Dieu et entre les hommes.
Aussi, dit le Baptiste, moi je ne peux que plonger les gens dans l'eau par un rite symbolique de purification mais je n'atteins pas leurs âmes. Je les exhorte à éviter le mal et à faire le bien mais ils restent prisonniers de leurs mauvais penchants, de leur faiblesse congénitale. Ils voudraient bien être mes disciples mais ils ne le peuvent pas.
Jésus, lui, seul, a reçu la Force divine de l'Esprit-Saint ; au baptême, ses disciples ne sont pas seulement plongés dans l'eau mais ils reçoivent cet Esprit qui les renouvelle de fond en comble, qui les fait toujours « commencer », si bien qu'on peut dire qu'ils sont « renés » (Jn 3,5).
« A ceux qui croient en son Nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu...ils sont nés de Dieu...De sa plénitude nous avons reçu grâce sur grâce » (Jn 1, 12)