Il y a dans cet évangile comme une série de cascades de transmissions une série de relais, en sorte que ce qui semblerait radicalement nouveau se trouve comme préparé en détail et ne surgit pas sans médiation, sans transition. Cela nous montre comment ce qui est divin est aussi tout à fait humain et se joue dans l'humain. Le spirituel pur n'existe pas, tout vient à 100% de l'homme et à 100% de Dieu. C'est comme cela dans notre vie aussi : question de regard, question d'attention pour s'en apercevoir. On peut certes tout analyser et réduire à des mécanismes physiques, sociologiques, psychologiques, chimiques, mais on peut aussi lire dans cette même réalité les chemins de Dieu, l'incarnation de l'amour de Dieu.
Les premiers disciples de Jésus étaient déjà disciples d'un autre grand personnage, le Baptiste. C'est lui qui leur indique leur nouveau maître spirituel. Il ne les garde pas de manière captative, pour avoir des gens sous son influence, pour avoir une sorte de miroir et exister plus intensément du fait d'être entouré. Jean Baptiste s'efface, c'est toute sa grandeur. C'est rare et c'est très beau. Il ne mesure pas son succès au nombre de ceux qui le suivent, il se comprend lui-même comme un relai. Il ne se met pas au centre, il n'est pas la lumière mais une lampe, il n'est pas la Parole, mais une voix... L'ami de l'époux se réjouit de la joie de l'Epoux.
Et ces disciples, à leur tour, en appellent d'autres pour qu'ils se joignent à eux. André est le tout premier, les orthodoxes se réfèrent à lui. Qui était le second ? Nul ne sait, peut être Jean. André appelle son frère Pierre. Il y a comme un effet de contagion, de diffusion, comme toujours parmi les hommes, le premier pas est le plus difficile.Tout est simple ici. Jésus ne s'impose pas, ne fait rien, ne dit rien.
Dans ce récit Jésus n'appelle pas, c'est lui qui est choisi et qui accueille. On nous dit simplement que Jean Baptiste « pose son regard sur lui » et, à la fin, Jésus à son tour « pose son regard » sur Pierre... Le regard, l'attention. Apprenons, nous aussi, à poser notre regard, à ouvrir les yeux, à savoir regarder, découvrir, nous émerveiller, attendre de l'autre quelque chose qui va venir. Regarder quelqu'un en sachant que c'est une personne qui promet... quoi ? On ne sait pas, mais une belle surprise tout au moins ! Adopter un regard de confiance... de silence aussi. Un regard qui n'est pas nécessairement celui d'un projet, d'un plan, d'une mission. Un regard de reconnaissance. « Tu es plein de potentialités. Tu peux devenir mon ami. »
Réciproquement, recevoir un tel regard, vous change, vous appelle à être, à devenir vous-même, à découvrir qui vous pouvez devenir dans une aventure qui s'inaugure... Simon change de nom ! Il devient Pierre, le roc, la base, le socle, l'appui.
« Que cherchez-vous ? » demande Jésus. Vous remarquerez que Jésus pose souvent des questions, beaucoup plus souvent qu'il ne propose de réponse. Il inverse les rôles. « Pour vous qui suis-je ? ». Il leur demande aujourd'hui : « que cherchez-vous ? » Il ne leur dit pas ce qu'il faut chercher. Sa pédagogie, c'est de rejoindre le mouvement même de ceux qu'il rencontre. Et c'est une grande question ! Savez-vous ce que vous cherchez ? Vous connaissez la blague : « Un chercheur qui cherche, cela se trouve, mais un chercheur qui trouve, cela se cherche ! » Nous sommes tous des chercheurs car nous sommes au fond de notre c½ur toujours insatisfaits. Mais nous ne savons pas toujours ce que nous cherchons. Nous cherchons autre chose, une autre forme de vie, de relation « la vraie vie est ailleurs, nous ne sommes pas au monde ! » écrivait Rimbaud...
« Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre c½ur est sans repos tant qu'il ne repose en toi » dit saint Augustin. Et il a bien raison : finalement nous sommes des chercheurs de Dieu mais nous ne le savons pas consciemment et nous ne savons pas non plus qui est Dieu. Il y a un manque, il y a un désir, mais il ne connaît pas son objet tant qu'il ne l'a pas rencontré. Cela explique pourquoi nous nous trompons souvent. Pourquoi nous allons en tâtonnant, de déception en déception, d'impasse en impasse, cherchant notre chemin.
Si quelqu'un dit qu'il a trouvé, nous sommes prêts à le croire et à l'imiter. Mais il arrive que l'on se trompe. Même les disciples se trompent. Nos disciples cherchent le Messie, et ils ne savent pas encore ce que sera le vrai messie. Ils passeront par l'épreuve du feu. Tout cela devra être purifié, remis en cause, retrouvé. Leur vocation elle-même passera par la Pâque, une forme de mort et de résurrection.
Comme me disaient de vieux dominicains, « on s'engage pour certaines raisons et l'on reste pour d'autres raisons... ». Autrement dit, avec le recul, on s'aperçoit que l'on avait de mauvaises motivations, ou tout au moins que nos motivations allaient être fortement purifiées. Mais peut-être il vaut mieux avoir de mauvaises motivations que pas de motivations du tout. Celui qui n'a pas de désir, celui qui ne cherche rien, est mort.
Il est intéressant de suivre le chemin de chacun. Jésus les rencontre là où ils sont. Les uns suivent Jean Baptiste et attendent le Messie, Mathieu, lui, est à son travail, comme publicain, il collecte l'impôt, d'autres seront à la recherche de nourriture, en train de pêcher. Les disciples d'Emmaüs attendent le grand chambardement révolutionnaire. Chacun rencontre Jésus au c½ur même de son attente, dans le prolongement de son désir. Jésus les rencontre là où ils sont mais il va les faire évoluer et les conduire ailleurs.
Je termine par quelques questions à méditer :
Quel est mon désir ? Quelle est mon attente ? Où se tournent mes regards ? Où donc puis-je reconnaître l'approche de Dieu dans mon histoire ? Quel est le chemin que Jésus m'amène à parcourir ?