2e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

À VOTRE SANTÉ.......À VOTRE SAINTETÉ

Il est encore courant de parler du « miracle de Cana » et de l'époustouflante intervention de Jésus qui offre des barriques de vin exquis (du « Château Margaux » ?) à une noce de village qui ne lui demandait rien. Pourtant saint Jean, ne dit pas qu'il s'agit d'un miracle (mot qu'il n'utilise jamais) mais d'un « signe ».
Il y a en effet dans ce récit plusieurs éléments curieux, qui « font signe », qui alertent le lecteur : n'était-il pas plus simple de se faire dépanner par les voisins prêts à apporter un tonneau ? Et pourquoi cette quantité énorme : 6 cuves de 2 à 3 mesures, cela donne 600 litres (De quoi affoler la « Ligue antialcoolique du coin !) ? Et pourquoi ce geste s'est-il produit « le 3ème jour » (notation que la liturgie omet) ? Et que signifie la présence de la mère de Jésus ?...
Le lecteur attentif remarque qu'il ne s'agit pas du reportage d'un journaliste fier d'offrir un scoop aux lecteurs du journal local (« Le Canasson ») mais d'un récit très élaboré, rédigé des dizaines d'années plus tard, lorsque l'Eglise a pris plus nettement conscience de l'identité de Jésus. Tout y est signe c.à.d. appels discrets au lecteur pour qu'il scrute le texte avec attention et qu'il s'émerveille plutôt de la véritable noce qui s'est célébrée et dont il est, dans la foi, partie prenante.

Car rien n'est dit à propos du couple qui fête son mariage pas plus que de la réaction finale de l'assemblée qui aurait dû sauter de joie devant cette aubaine inattendue. Mais en parfaits connaisseurs des Ecritures saintes, Jean et ses premiers lecteurs juifs n'ont pas oublié que Dieu avait promis de nouer avec son peuple une Alliance nouvelle. Basée non plus sur le rapport de la Loi mais sur l'amour conjugal. « Celui qui t'a faite, c'est ton Epoux...Sans relâche, avec tendresse, je vais te rassembler ; avec un amour sans fin, je te manifeste ma tendresse » (Isaïe 54, 5-8). Et le « Cantique des Cantiques » était interprété comme le chant passionné de deux amoureux, le Messie et son Epouse Israël.
Pendant des siècles, sous les interminables occupations des troupes étrangères (perse, grecque, romaine), l'espérance des Noces finales, de l'union de Dieu et des hommes, était restée vivace.

Un jour que Jésus participait à un joyeux repas et que les Pharisiens lui rappelaient vertement que c'était jour de jeûne, Jésus avait répliqué : « Les invités à la noce peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux ? » (Marc 2, 19). Or quel est un des devoirs de l'époux ? La coutume de l'époque l'obligeait à offrir le vin de ses noces. C'est pourquoi malicieusement Jésus fait goûter son vin  par le « maître du repas », c.à.d. le traiteur et ce spécialiste se précipite vers le jeune marié pour dire sa stupéfaction : «  D'habitude on sert le bon vin d'abord et quand les gens sont un peu pompettes, on leur verse la piquette ! Et toi tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant ??...». Le jeune époux n'a rien à répondre.
Mais encore une fois, les fidèles des Ecritures savaient que, lorsque le Messie viendrait nouer l'Alliance définitive, sceller le mariage de Dieu avec sa communauté, il offrirait un bonheur qui aurait trois caractéristiques : une joie inépuisable (donc il y a 600 litres), d'une qualité jamais expérimentée, bien supérieure à tous les plaisirs antérieurs (d'où l'appréciation de grand cru) et absolument gratuite (Jésus ne fait rien payer).

Donc comment se termine la scène ? Laissant la noce du village à son ivresse, Jésus s'éclipse en entraînant ses disciples qui maintenant « croient en lui et le suivent », de même que sa mère. Les jours précédents, Jean avait raconté que Jésus avait été désigné par Jean-Baptiste, que celui-ci avait pressé ses disciples de le quitter pour partir derrière « l'Agneau de Dieu ». André et un anonyme avaient suivi Jésus ; puis André avait amené son frère Simon aussitôt surnommé Pierre ; puis Jésus avait appelé Philippe qui avait convaincu son ami Nathanaël. Ces 5 jeunes gens vivaient donc avec Jésus depuis quelques jours seulement, ils le connaissaient peu, l'observaient, l'écoutaient. Etait-il le Messie que Jean le baptiseur avait désigné ?
Ici à Cana, leur décision est prise : peut-être, sur le moment, n'y a-t-il là pour eux qu'un « miracle » mais la suite va leur révéler la signification profonde du geste de Jésus.

En leur offrant son vin nouveau, Jésus s'est attaché à ses jeunes compagnons : désormais ils constituent une « communauté », une petite Eglise « ivre de joie » parce qu'elle va vivre non plus sous les commandements d'un Dieu lointain et redoutable mais avec son Messie, son Fils, son Berger qui marche à sa tête pour la guider vers le paradis, l'Agneau qui, un jour, donnera sa vie pour eux.
En effet, au Golgotha, ils comprendront pourquoi, à Cana, il avait affirmé « Mon heure n'est pas encore venue » : en voyant le c½ur ouvert de Jésus crucifié et le filet de sang coulant de son c½ur transpercé, ils comprendront. « L'Heure était venue », l'Heure pour Jésus de manifester sa Gloire, c.à.d. son identité avec son Père et son amour infini envers ses disciples pour lesquels il donnait sa vie.
Les Noces étaient définitivement scellées.

LA MERE DE JESUS

Curieusement Jean ne l'appelle pas par son nom Marie : il dit « la mère de Jésus ». Mais sa présence n'est pas fortuite ni ses paroles anodines.
D'abord elle est la femme attentive qui remarque le manque : « Ils n'ont plus de vin ». Les prophètes employaient souvent cette image pour dire l'état de désolation d'Israël qui avait gravement manqué à son Dieu, qui était infidèle à ses volontés et qui souffrait de grands malheurs. Marie exprime la détresse des hommes: « Ils n'ont pas de vin » c.à.d. ils ont perdu la joie de vivre, ils pleurent le bonheur perdu, ils ne parviennent pas à aimer - car le vin est le symbole de l'amour.
Ensuite Marie, loin de se sentir rabrouée par la réplique de son fils (« Que me veux-tu, femme ? »), exhorte les serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira ». Si nous voulons vraiment être les serviteurs de Jésus, nous ne pouvons nous croiser les bras dans l'attente d'un miracle ni exiger une intervention fulgurante de Dieu. Il faut nous mettre au travail sur le champ, nous épuiser à remplir nos devoirs (comme à Cana ils puisèrent des centaines de litre d'eau), ne pas nous plaindre de la banalité des jours, de la répétition des tâches quotidiennes, de la dureté des engagements de foi, du manque de soutien des autres, du peu de résultats apparents de nos efforts.
Car, « le 3ème jour », qui est devenu tout de suite la dénomination du jour de Résurrection de Jésus (« Il est ressuscité le 3ème jour »- 1 Cor 15, 4), et que les chrétiens vont appeler « Jour du Seigneur » - en français « dimanche »-, tous les croyants peuvent s'empresser de se rendre à Cana, à leur église, chapelle ou cathédrale, afin d'écouter les paroles lumineuses de Jésus et partager son Pain de Vie et son Sang. Car « celui qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraie nourriture et mon sang vraie boisson » (Jean 6, 54).
A chaque Eucharistie, la mère de Jésus est là. Elle nous apprend à remarquer « les manques », à intercéder pour une humanité privée d'amour ; et elle nous pousse à travailler sans relâche, à remplir nos devoirs si ardus soient-ils.
Emerveillés par ces « signes » reçus et célébrés, nous pouvons, alors, avec Marie, nous enfoncer en plein monde en suivant Jésus, en vivant selon l'Evangile, en témoignant du bonheur de croire, en invitant aux Noces de Dieu les multitudes qui n'ont jamais goûté la joie de croire, qui confondent la foi avec des contraintes et qui ne soupçonnent pas que la foi chrétienne est réellement un mariage, une noce où Dieu et l'humanité enfin peuvent s'unir dans un torrent de joie inexprimable.
Chaque « 3ème jour » (surlendemain du jour de la croix), la communauté pimpante se précipite aux noces pour se laisser pardonner et aimer follement par son Dieu ; elle chante avec allégresse sa reconnaissance ; elle boit le Vin de l'Alliance ;  avec la mère de Jésus, elle entonne son « Magnificat ».
Vivons-nous ces Noces ? Le signe de Cana nous rappelle la valeur « amoureuse » du « signe de la Messe ». En faire un temps de piété morose, une coexistence temporaire d'inconnus, une corvée nécessaire : quelle tristesse ! Allumez le feu de l'amour !!