vouez qu’il y a tous les ingrédients dans ce récit pour en faire une merveilleuse adaptation au cinéma. Car le récit de Luc est plein d’images grandioses et de personnages prestigieux. Il y a de la lumière, des stars, des décors montagneux splendides. Dans les récits bibliques, d’ailleurs, les passages clés sont souvent situés sur la montagne : sur le mont Horeb, le mont Tabor, au Sinaï. C'est sur le Golgotha que Dieu nous dévoilera ultimement son vrai visage. Et pour mettre en scène ce récit de Luc, je vous laisse imaginer les stars et le casting de rêve pour incarner ces figures de l’ancien testament comme Moïse et Elie et les seconds rôles de Pierre, Jacques et Jean ! Quant à la voix off qui nous dit “Celui-ci est mon Fils bien aimé”, j’imagine volontiers Michael Lonsdale, avec sa tendre et chaude voix ! Bref, en ce deuxième dimanche de Carême, nous sommes face à un blockbuster, une série à succès que l’on retrouve dans tous les évangiles, un récit tout simplement crucial, puisqu’il préfigure l’annonce de Pâques.
La transfiguration est ce récit clé dans lequel Jésus traverse une étape essentielle de sa vie, où il se dévoile, se découvre lui-même. Il se reçoit de son Père, qui lui dit “Celui-ci est mon Fils”. Jésus découvre ainsi cette verité sur lui-même. Et cette parole est adressée à chacun d’entre nous, au plus intime de nous, car nous ne pouvons jamais nous construire seul. “Regarde, tu es mon Fils bien aimé.” Voilà ce qui nous est adressé également : Deviens ce que tu es au plus intime de toi, regarde-toi ! Même si tu te construits par les autres, tu ne te réduis pas à cela. Tu es autre que ce que la société veux pour toi, différent de ce que les autres —tes collègues, ta famille— rêvent pour toi, de ce que tes proches projettent sur toi. Ton visage est autre que ces masques que tu portes. Il y a toujours au plus profond de toi une clarté qui peut réellement resplendir, briller davantage.
Il y a une luminosité qui peut rayonner, transparaître; une lucidité —et le mot dit bien— sur nous-mêmes que nous avons à découvrir profondément, lorsque dans l’intimité d’une rencontre, de la prière, d’une lecture, d’une parole, d’un dialogue, nous parvenons à prendre de la hauteur sur nous et sur notre vie. C’est dans ces moments lumineux que nous parvenons à faire le deuil d’une histoire, d’un proche, d’un espoir, d’un projet. Lorsque nous quittons la somnolence, celle qui nous accable et empêche une telle lucidité sur nous-mêmes— et que nous nous éveillons à la vie; à ce que nous sommes réellement. Voilà cette vérité que Jésus découvre pour lui-même sur la montagne. Il se découvre lui même, en présence de ses disciples, il découvre sa mission, son chemin, son exode, sa Pâques. Il pose un regard neuf sur sa route, sur son histoire. Il s’entretient avec Moïse et Elie —son passé et son passif— non avec ceux qui sont présents à ses côtés. Comme s’il relisait sa vie en silence, pour la vivre plus intésément.
Ces moments de vraies transformations, de métamorphoses, nous pouvons toutes et tous en vivre. Et c’est à tout âge qu’il est possible changer de vision, transformer notre regard, prendre de la hauteur, déserrer la focale sur sa vie. Là où nous parvenons à être —ne fût-ce qu'un instant— en harmonie avec nous-mêmes, là où nous nous sentons compris, acceptés, aimé peut-être, pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous avons fait. Et chaque fois que nous poserons sur les autres un tel regard de lucidité, qui ne juge pas, c'est peut-être la transfiguration de notre monde qui est, elle aussi en marche...
Car la transfiguration —osons encore une fois le mot— n’est pas la vision d’une autre réalité, mais une autre vision de celle-ci. C’est-à-dire une interprétation plus lucide de la vie du monde, moins sombre de nous-mêmes, l’espace d’un instant. C’est une lecture de la vie pleine de lumière, un regard d'éternité! Dans ces moments-là, avouez qu’il est difficile d’en parler ! « Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu. » Dans une culture où il faut tout partager, liker, forwarder, commenter, selfier, les disciples ont la sagesse du silence. “Ce dont on ne peut parler, il faut parfois le taire” Si de telles découvertes dans nos vies, restent toujours incibles, intransmissibles, elles ne nous isolent pas pour autant. Car nous pourrons toujours rayonner davantage. Non dans la brillance et l’éclat, mais la lucidité d’un regard neuf, sur nous-mêmes. En ce sens, la transfiguration est cette manière divine d'éclairer la banalité de nos histoires, l'ordinaire des jours. Et là où une situation semble inextricable, un sens est toujours possible pour celui qui choisit la confiance. Car lorsque notre regard se transforme, de la banalité du quotidien peut surgir un horizon nouveau, aux couleurs de l'éternité. Amen.