3ème dimanche de Carême

Auteur: Michel Van Aerde
Date de rédaction: 28/02/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

Le récit de la vocation de Moïse est un récit fondateur (Ex3) . Fondateur pour le peuple juif, fondateur pour les chrétiens, fondateur pour tout peuple qui souffre et qui peut y puiser l’espérance d’en sortir. On connait les gospels américains, « let my people go », le chant des esclaves de la Louisiane qui, bien avant Martin Luther King, bien avant Mandela, bien avant Obama, exprimaient déjà, anticipaient, une libération pourtant tout à fait improbable. Ce récit de la vocation de Moïse, nous pouvons l’imaginer, habitait les millions de juifs, déportés vers les camps d’extermination. Il s’agit d’un rapport à la foi, d’un rapport à la vie, d’un rapport à soi-même et à Dieu, d’une vision de l’avenir, qui renverse toutes les apparences.
La théologie de la libération, développée en Amérique Latine, l’a bien exprimé. Quand plus rien ne semble possible, quand on se trouve, comme beaucoup d’êtres humains, de jeunes, d’exploités, de réfugiés, dans une situation de « no future », c’est alors que tout commence, que tout est possible. Parce qu’il y a un Dieu qui voit et qui entend. « J’ai vu, oui j’ai vu la misère de mon peuple et j’ai entendu ses cris ! »

L’initiative ne vient pas de Moïse. Il est certes la figure même du leader, du libérateur, du chef. « Comme s’il voyait l’invisible, il tint ferme ! » nous dit la Bible, mais ce n’est pas lui qui décide d’aller voir Pharaon. Il ne se sent pas capable d’une telle mission parce qu’il ne sait pas parler : « il est bègue ». Pour un prophète, c’est gênant ! Parce qu’il a peur, parce qu’il s’est réfugié à l’étranger, parce qu’il a tué un égyptien, parce qu’il peut être dénoncé, parce que, parce que… Mais Dieu a pris parti. Ce Dieu là, qui est le Dieu des pères, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui a été auprès d’eux dans le passé, voici qu’il dit à Moïse, au présent : « je suis avec toi » et qu’il dit au futur : j’agirai. Il est Celui qui était, qui est et qui sera. Le nom par lequel les hébreux pourront le reconnaître, « Eyé asher Eyé » ne se traduit pas « Je suis celui qui est », mais plutôt « Je serai qui je serai », ou encore, « Je serai avec toi qui tu verras », j’agirai avec toi. Autrement dit, en pensant au buisson ardent : tu verras de quel bois je me chauffe.

A Moïse, l’Etre, l’existant, se révèle en disant « Je ». L’Etre se manifeste au futur ! Et nous pouvons nous demander ce que cela signifie que de considérer l’Etre comme quelqu’un qui parle et comme une personne qui se présente au futur. L’Etre comme ouvert, comme un horizon de promesses, comme un avenir et comme un guide, un compagnon de route, qui voit et qui entend.

Faut-il penser que le peuple méritait d'être libéré ? Que ce peuple était meilleur que les autres ? Il semble bien que non. Comme tous les peuples, laissé à lui-même lorsque Moïse se trouve sur la montagne, il n'a de cesse de se fabriquer une idole : un taureau en or. Il est fasciné par l'or et, comme tous les peuples, il adore la puissance et la fécondité. Si l'on parle du "veau d'or", c'est par dérision. Le peuple ne mérite donc rien, mais Dieu voit l'injustice et il entend les cris. Il prend parti pour le délivrer, il noue une alliance. Comme le peuple ne la respecta pas, il en assumera les exigences de manière finalement unilatérale. C'est ainsi qu'il manifestera sa fidélité.

Cette histoire est fondatrice, car elle décrit un fait permanent, en manifestant l'action Dieu. Nous pouvons nous approprier cette expérience et la vivre dans toute son intensité.
La communauté en prière est, pour nous, un buisson ardent qui brûle sans se consumer, où l’Esprit du Ressuscité est présent, où la charité vient se réchauffer, où la Parole de Dieu se transmet, où les projets de Dieu, toujours déroutants, sont communiqués. La liturgie est ce foyer toujours accessible, de tradition et de mise en route, d’envois.

Quels sont, aujourd’hui, les cris à entendre, les plaintes à recueillir, les souffrances collectives à dénoncer ?
Ne voyons-nous pas les personnes déplacées, les millions de réfugiés, les peuples en plein exode, hommes, femmes, enfants, qui fuient comme ils le peuvent, à travers la mer - et rarement à pied sec ?

Transformer la situation dépasse nos forces. Comme Moïse, nous sommes limités mais, pour lui comme pour nous, il y a un Dieu qui marche à nos côtés.