Imaginez que quelqu'un vous pose une question piège, et que la réponse soit un peu délicate à donner... Quelle technique avez-vous pour vous en sortir ? Je vois quatre possibilités !
La première possibilité, la plus classique, est de donner une réponse de Normand, une réponse évasive, peu claire. Il paraît en effet qu'une vieille coutume normande permettait --après avoir passé un contrat-- de se rétracter dans les 24 heures. Jésus n'emploie bien entendu pas cette méthode pour répondre au Pharisiens...
Une deuxième possibilité pour se sortir d'une question piège est de donner une réponse de Jésuite ! Autre technique --qui remonte bien avant nos amis Jésuites-- et qui consiste à répondre à une question par une question. Jésus n'étant pas Jésuite, n'emploie pas cette méthode...
Une troisième technique est celle de changer de cible et de répondre à une autre question.
C'est la technique des étudiants qui ne savent que répondre aux examens, ou de certains politiciens. Vous avez peut-être vu les imitations de Sarkozy : «mes chers amis, je vais d'abord répondre à la question que vous ne m'avez pas encore posée ».
Bref, Jésus n'emploie pas cette méthode.
Dans l'Evangile que nous venons d'entendre, Jésus s'en sort en utilisant une autre technique..., nous dirons qu'elle est typiquement dominicaine ! C'est la technique chère à Saint Thomas qui veut que pour bien répondre, il faut distinguer pour unifier sa réponse ! Bref, pour une question, il donne plusieurs réponses... C'est très dominicain...
L'amour de Dieu et l'amour du prochain sont un seul et même commandement.
Et Jésus réponds en montrant qu'il n'y a finalement pas d'alternative.
Dès lors, vous sentez le piège tendu à Jésus. Selon une tradition juïve, la Loi comprenait 613 commandements. En posant cette question, les pharisiens forçaient Jésus à choisir, à choisir son camp, à distinguer peut être l'essentiel de l'accessoire... et donc à créer, à ajouter une loi non écrite pour interpréter les lois.
Mais à une question qui semble n'appeler qu'une seule réponse, Jésus distingue donc deux commandements. Il distingue pour unir l'amour du prochain et l'amour de Dieu, qui se révèlent l'un l'autre. En amour, il ne s'agit pas de diviniser l'autre. Il ne s'agit pas non plus de d'aimer Dieu en son prochain, comme si le regard traversait notre prochain en niant son individualité. La réponse de Jésus est donc radicale et simple. Revenez à l'essentiel nous dit Jésus. C'est l'amour seul qui donne sens à nos existences. Tout est dit dans ce simple commandement et pourtant, tout reste à faire avec son c½ur, son âme et son Esprit.
Nous sommes donc tous aujourd'hui
invités à refaire notre unité intérieure.
Invités à distinguer l'essentiel dans les multiples devoirs quotidiens que nous nous donnons.
Invités à faire passer l'importance de l'amour avant l'urgence du devoir.
Jésus reprend à son compte cette règle d'or de l'amour du prochain, que l'on retrouve dans tous les systèmes philosophiques et religieux du monde. Rien de neuf et rien de bien chrétien. Mais si ce commandement d'amour est radicalement simple et connu, la manière avec laquelle Jésus le présente est extraordinairement neuve.
C'est à l'amour que l'on reconnaît le disciple du Christ.
Nous avons tendance à faire l'inverse.
Dis-moi qui est ton Dieu, et je te dirai comment tu dois aimer !
Et pourtant, il serait mieux de dire :
Dis moi comment tu aimes,
je te dirai qui est ton Dieu.
Alors, heureux sommes-nous, car si ces deux commandements ne font qu'un, Dieu se révèlera précisément dans tous les actes d'amour et de tendresse que nous poserons chaque jour.
ll n'y a donc pas de contenu. Il n'y a pas de règle. Il n'y a pas d'objet. Il n'y a plus qu'un comment, c'est à dire une manière d'être en relation, de tout notre c½ur, notre âme et notre Esprit. Par l'incarnation, Dieu a pris notre humanité. Le Fils de Dieu est venu dans notre monde pour nous dévoiler l'amour du Père, pour nous révéler la démesure de son Amour.
Et la double réponse de Jésus aujourd'hui à la question piège du docteur de la loi est claire.
Et elle referme ce piège sur les docteurs de la Loi.
Les docteurs de la loi sont, permettez-moi le jeu de mot, des médecins légistes...
Ils pensent que la Loi, le commandement peuvent guérir.
Mais c'est faire de la Loi lettre morte. C'est oublier l'Esprit.
Jésus, par son commandement d'amour, donne vie à la Loi.
Il ne prend pas l'homme au pied de la lettre, mais au c½ur de son être,
au c½ur de cette loi d'amour qui se trouve inscrite au plus profond
de chaque être humain, quel qu'il soit.
Au légistes qui font tout par devoir, Jésus nous invite à répondre en étant d'autres docteurs, des cardiothérapeutes, des hommes et des femmes qui savent qu'on ne guérit qu'avec le c½ur, pas avec des «il faut » et des paroles, mais avec des attentions qui vont à l'essentiel.
Oui, même l'amour blessé peut devenir solution lorsqu'il est vécu et déposé en Dieu.
Dis moi comment tu aimes, je te dirai qui est ton Dieu.
Amen.
30e dimanche ordinaire, année A
- Auteur: Croonenberghs Didier
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2010-2011
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