30e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Cet aveugle, mendiant au bord de la route, résume bien la condition de l'homme du point de vue spirituel, pas seulement du temps de Jésus mais de tout temps.
Il est assis au bord de la route, c'est-à-dire assez passif, en dehors du mouvement. Sans doute désabusé, ayant perdu toute illusion, il ne cherche plus, il n'espère plus un sort meilleur. Il s'est installé hors de la ville. En principe, c'est pourtant là qu'il aurait pu trouver plus de passants, plus de gens qui l'auraient vu, lui l'aveugle, et venir à son aide. Mais au contraire, on le sait bien, l'agitation d'une ville (et, transposons tout de suite: l'agitation d'une vie) ne permet pas de voir ni de s'arrêter aux mendiants. Je ne parle pas de Sans Domicile Fixe mais de nos mendicités, de nos aveuglements humains, spirituels, dans nos propres vies. Bartimée avait déjà compris cela: il aurait plus de chance de trouver la voie d'une nouvelle vie en quittant la ville et son agitation.
Le Jésus qui sort de Jéricho à ce moment-là est un Jésus qui a quitté Nazareth où il a grandi et cette région de Galilée où il avait prêché depuis plus de deux ans. Il a décidé de monter à Jérusalem car c'est là qu'il devra terminer sa mission comme grand-prêtre offrant l'ultime sacrifice, selon l'image rappelée par l'épître aux Hébreux. D'ailleurs, entre Nazareth et Jéricho, avaient pris place les trois annonces de la Passion. C'est donc bien un Jésus en marche dans sa mission de Sauveur que rencontre l'aveugle. En ville, dans le dédale de ruelles, il n'aurait peut-être pas croisé Jésus. En se postant sur le chemin de Jérusalem, il avait assurément plus de chances.
Notre aveugle n'avait plus l'usage de ses yeux mais il avait encore ses oreilles et sa langue. Il avait donc pu entendre parler de Jésus et de sa mission de Salut. Et lorsqu'il apprend que c'est Jésus qui passe si près de lui, il utilise sa langue, il crie son désarroi, son attente, en s'adressant à lui par deux noms différents: "Jésus" (le prénom du Jésus familier proche de nous) mais aussi "Fils de David" (titre que reprendront en choeur ceux qui accueilleront Jésus entrant à Jérusalem au terme de ce voyage). Titre qui situe également Jésus comme re-fondateur d'un nouvel Israël (comme David l'avait été du premier Israël). Notre aveugle ne manquait donc pas de clairvoyance !
Le réflexe spontané de la foule, qui devient plus aveugle que les aveugles quand elle devient foule (et qui se veut sourde aux appels des infirmes de la vie car elle croit qu'elle sait ce qu'elle veut), est de rabrouer l'aveugle (comme le boiteux d'ailleurs) qui risque de ne pas marcher au même pas des mêmes certitudes.
Mais ces cris-là, Jésus les entend malgré la foule. A ces incertitudes, à ces attentes, surtout d'un individu conscient de son infirmité, Jésus est sensible. Pour une telle personne, Jésus arrête tout et tout le monde, un moment, le temps de se pencher sur cette détresse. La foule, à ce moment, prend elle-même conscience que l'important n'est pas de marcher sur Jérusalem comme pour la conquérir (le rôle de grand-prêtre n'est pas un rôle que l'on conquiert; il ne peut être que donné par Dieu rappelait l'épître) mais en faisant déjà oeuvre de salut en chemin. Ce n'est pas la foule qui guérit l'aveugle mais c'est la foule (nous, l'Eglise) qui peut dire aux gens: "confiance, relève-toi, Il t'appelle". A Jésus qui lui demande: "Que veux-tu que je fasse pour toi ?", l'aveugle ne demande pas l'aumône comme il le faisait depuis toujours à tous les passants; il demande beaucoup plus, témoignant ainsi de sa confiance en ce Jésus. Derrière le fait de demander de recouvrer la vue, il y a, plus spirituellement, le fait de demander la clairvoyance sur son propre destin. La chose était claire désormais: "dès qu'il se mit à voir, il suivit Jésus sur la route".