ENFIN « VOIR » LA ROUTE À PRENDRE
Les extraits d'Evangile que nous écoutons chaque dimanche risquent toujours d'apparaître comme des pièces séparées, chacune commentée pour elle-même. Aujourd'hui, il serait bon d'embrasser d'un coup d'½il les scènes racontées en ces dernières semaines, de rassembler les pièces du puzzle car elles constituent un ensemble qui a un sens. Récapitulons donc.
Tout au nord de son pays, à la frontière du monde païen en construction, Jésus a décidé de monter à Jérusalem. C'est le tournant de sa vie : il sait que, dans la capitale, il sera refusé, haï et condamné à mort. Et en même temps il a prévenu que tout disciple partagera ce destin : « Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup....Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive » (8, 31-38). A partir de ce moment et de cette déclaration qui donne « le principe directeur » de la vie du Messie et de son Eglise qui marche derrière lui, Marc a raconté 5 scènes qui abordent les divers aspects de notre vie. Lues ces derniers dimanches, rappelons-les en bref.
1. 9, 33-50 : LA VIE EN COMMUNAUTE CHRETIENNE
Pas de querelles de préséances, pas de lutte pour le pouvoir chez les dirigeants de communauté. Qu'ils soient comme les serviteurs de leurs frères, veillant surtout à ne pas les scandaliser et à mettre leur foi en péril. Que tout se passe dans la paix.
2. 10, 1-12 : LE MARIAGE
Si la Loi permettait la répudiation de l'épouse, il n'y avait là qu'une concession. Le projet du Dieu unique est que l'union homme/femme représente l'alliance entre Dieu et son peuple - deux qui font UN - donc le mariage doit être un et indissoluble.
3 10, 13-16 : LES ENFANTS
Loin d'être seulement un petit être à dédaigner, à redresser, à éduquer, l'enfant est le modèle pour le croyant. L'adulte tenu à assumer ses responsabilités, à faire et construire le monde, doit comprendre qu'il doit accueillir le Royaume. Comme l'enfant, il doit reconnaître son ignorance, avoir envie d'apprendre, accepter de recevoir comme vrais des enseignements qui le dépassent, suivre son Maître - Jésus Messie - là où celui-ci veut le conduire...si dur que soit le chemin. « Amen, je vous le dis : qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas » (10, 15) : la déclaration de Jésus est solennelle et centrale dans l'ensemble.
4 10, 17-31 : LA VIE ECONOMIQUE
L'argent est utile et nécessaire mais le danger est grave d'être pris par la passion d'avoir toujours plus. La cupidité, l'idolâtrie de l'argent empêche absolument l'entrée dans le Royaume. Pour mettre en garde contre cette avarice, Jésus appelle certains à opter pour une existence pauvre, toute consacrée justement à annoncer la venue du Royaume et donc à exhorter à la conversion, au changement des mentalités et des m½urs. Ces « pauvres apôtres » seront contestés, persécutés mais ils recevront la Vie éternelle.
5 10, 35-45 : ENCORE L'AMBITION
Faut-il que la passion du pouvoir et les rivalités entre dirigeants soient grandes pour que le sujet revienne ! La communauté de Jésus doit s'organiser au contraire du monde : pas de carriérisme, pas de coups fourrés pour dépasser un autre, pas de rêves de pourpre et de places d'honneur. « Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit l'esclave de tous ». Il faudra boire la coupe jusqu'à la lie et plonger dans le torrent des épreuves et des souffrances. Comme le Fils de l'homme qui se fait serviteur, esclave, afin de libérer l'humanité.
RÉACTIONS SPONTANEES DES CHRÉTIENS
A chacune de ces scènes, Marc montre les apôtres « à côté de la plaque » : ils se querellent, se jalousent; ils veulent le monopole du bien ; ils ne comprennent pas le refus de la répudiation de l'épouse ; ils chassent les mères qui présentent leurs petits ; ils voient dans la richesse une bénédiction ; ils manigancent pour devancer les confrères ; ils guignent le pouvoir ! Ils représentent bien nos réticences, nos objections en face d'enseignements qui nous semblent impossibles à pratiquer.
ILS NE VOIENT PAS. Donc il est normal qu'en conclusion, Marc raconte la guérison d'un aveugle.
LA GUÉRISON DE BAR TIMÉE.
Tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, un mendiant aveugle, Bar Timée (le fils de Timée) était assis au bord de la route. Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! ».
Beaucoup de gens l'interpellaient vivement pour le faire taire mais il criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! ». Jésus s'arrête et dit : « Appelez-le ». On appelle donc l'aveugle et on lui dit : « Confiance, lève-toi : il t'appelle ».
L'aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? - Rabbouni, que je voie ! ». Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé ».
Aussitôt l'homme se mit à voir et il suivait Jésus sur la route.
Jéricho, l'oasis luxuriante dans la vallée du Jourdain, constitue l'ultime étape du pèlerin : c'est là que commence la montée vers Jérusalem. Marc est le seul évangéliste à donner le nom de l'handicapé : Bar (en araméen : fils) - Timaïos (en grec : valeur, dignité) : l'homme porte la marque des deux mondes que Jésus vient sauver en les unissant.
C'est un pauvre de toutes les manières. : enfermé dans sa cécité, seul sans soutien familial donc obligé de mendier, un marginal en bordure du chemin, assis donc oisif, sans travail, sans destination.
Intrigué par la rumeur et l'agitation, il questionne et apprend le passage de ce prédicateur dont on raconte les miracles et qui serait peut-être le Messie, descendant lointain du grand roi David. Du coup, du fond de sa misère, il crie, sans arrêt il hurle ; personne ne parvient à le faire taire. Sa voix est sa seule arme, sa seule force : AIE PITIE DE MOI !
Au milieu de la houle des vivats, des gens qui se contentent de le regarder et de l'acclamer, Jésus perçoit les cris du pauvre, s'arrête et demande qu'on le lui amène. Il l'« appelle » (trois fois répété).
« Confiance ! LEVE-TOI » : c'est le verbe que l'on emploiera aussi pour parler de la résurrection de Jésus.
Et le pauvre, sur le champ, laisse là sa seule richesse, son manteau, sa protection, son apparence (Timée) pour bondir et courir, en chancelant, bras ouverts. Le contraire du jeune homme riche qui n'avait pas osé abandonner ses biens pour suivre Jésus !
Que veux-tu ? - QUE JE VOIE - VA, TA FOI T'A SAUVÉ. Parce que tu as crié, que tu as exprimé ton malheur incurable, que tu as tout laissé pour courir à ma rencontre, que tu t'es dressé, que tu as fait confiance.
Et tandis que les gens regardent s'éloigner Jésus et les siens avant de retourner à leurs occupations, Bartimée, lui, SE MET A SUIVRE JESUS dans sa montée dangereuse vers Jérusalem. IL VOIT CE QU'IL FAUT FAIRE. Il devient disciple, un enfant qui accueille le Royaume.
Nous comprenons maintenant le sens de l'épisode : il ne s'agit pas seulement du récit d'un miracle inexplicable. Bartimée représente tous ces disciples et ces gens rencontrés lors des scènes précédentes et qui ne VOYAIENT PAS pourquoi Jésus parlait de mort prochaine, pourquoi il appelait au renoncement et à la croix, pourquoi il proposait des enseignements aussi exigeants. Et les disciples aujourd'hui, c'est nous.
Bartimée nous pousse à reconnaître notre incapacité de percevoir le dessein pascal de l'Evangile, à avouer « notre aveuglement », à confesser notre pauvreté. Lui, l'appelé, il nous conseille de nous laisser appeler, de faire confiance, de ne plus demeurer inactifs et résignés, en bordure du chemin de l'histoire du salut.
Il nous crie de nous lever, d'oser abandonner ce qui nous couvre et nous protège, de supplier pour voir.
Et « aussitôt » (ce petit mot tant aimé de Marc), sans attendre - parce que l'Evangile est toujours urgent - de nous mettre en route derrière Jésus et de le suivre.
CELUI QUI NOUS FAIT VOIR NOUS FERA VIVRE. Quand tu sais qui TU SUIS, TU ES.
30e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012