L'évangile de ce jour fait suite directement à celui de dimanche passé et nous offre une nouvelle et dernière parabole au sujet de la prière. Comme pour la précédente, saint Luc commence par préciser le but de cette petite histoire :
Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient les autres.
Dans la bible, la justice n'est pas d'abord la répartition équitable des ressources ni l'institution qui règle les différends entre les hommes mais elle désigne la relation avec Dieu. Le juste est celui qui "s'ajuste" à la volonté de Dieu, qui vit de telle manière qu'il corresponde le plus possible à ce que Dieu exige de lui. On dirait aujourd'hui "c'est un saint", un fidèle. Dieu veut nous "justifier", donc vouloir être juste est l'attitude fondamentale demandée au croyant. Mais la parabole va nous mettre en garde contre une dérive possible.
Deux hommes montèrent au temple pour prier. L'un était pharisien et l'autre, publicain.
Deux types tout à fait opposés. Le premier est un homme qui fait partie de la confrérie des pharisiens, ces Juifs très pieux qui s'engageaient à observer à la lettre les moindres prescriptions de la Loi afin d'obéir à Dieu de la manière la plus parfaite. La justice était bien leur idéal.
Le pharisien se tenait là et il priait en lui-même : " Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères...ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de ce que je gagne".
Ulcérés de voir tant de leurs compatriotes en prendre à leur aise et ne plus vivre selon la Loi, les pharisiens se voulaient des super-observants : non seulement ils pratiquaient toutes les prescriptions légales mais ils en rajoutaient. Cet homme est un vrai ascète ( jeûner deux fois la semaine !) et généreux ( rendre 10 % de ses revenus !). Et il est très pieux : il vient prier au temple afin de rendre grâce à Dieu, le remercier de lui avoir permis de mener cette vie juste. Ce pharisien n'exagère pas, il ne ment pas...Mais il se compare ! Du haut de son piédestal, il regarde avec dédain cette racaille qui commet tant de péchés...et il n'a que mépris pour ce publicain, là-bas, qui ose venir souiller le temple saint !
Le publicain, lui, se tenait à distance et n'osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine en disant : " Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !".
On sait que les publicains étaient chargés de récolter les impôts au nom de l'armée romaine d'occupation ; en outre, ils étaient réputés comme des rapaces qui détournaient à leur profit une part des sommes récoltées. Catalogué comme collaborateur et voleur, cet homme était donc un affreux pécheur que Dieu ne pouvait que rejeter. Dieu merci, disait le pharisien, je ne suis pas comme ce sale type !
Or le publicain est malheureux : il est croyant, il vient au temple...il sait qu'il est un grand pécheur, que ce qu'il fait n'est pas bien. Il se juge en vérité, il ne cherche pas des excuses, il ne veut pas se disculper, il ne prétend pas que "au fond ce n'est pas si grave". Il se voit dans un trou, incapable d'en sortir, acculé à se frapper la poitrine et murmurer sans arrêt : " Seigneur, prends pitié de moi". De la prison où je suis tombé, daigne écouter ma plainte, entends mon cri sincère. Je dénonce mon mal et j'en suis prisonnier : Toi seul peux me délivrer, Toi seul, mon Dieu, tu peux me faire miséricorde. Tu es mon seul recours.
CONCLUSION AHURISSANTE
Un juste et un injuste : devant la Loi (et l'opinion publique) les choses sont claires. Mais pas pour Jésus qui va conclure son histoire par une incroyable affirmation qui a dû provoquer la colère de l'auditoire.
Quand le publicain rentra chez lui, c'est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste et non pas l'autre. Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse, sera élevé.
Attention ! Jésus ne dit pas qu'il est ridicule de jeûner et de faire l'aumône ; il ne dit pas qu'on peut voler sans vergogne son prochain ; il ne dit pas que la morale n'a pas d'importance ; il ne dit pas que le bon pratiquant et le malfaiteur sont à égalité devant Dieu...
Mais il enseigne que l'homme ne peut SE JUSTIFIER LUI-MÊME. Oui, il doit tout faire pour observer les lois de Dieu mais sans jamais s'en vanter, sans "mépriser" les autres, sans se juger supérieur à eux. Et il enseigne que le pécheur n'est jamais irrémédiablement condamné, que la pitié de Dieu est tellement immense que le plus grand pécheur, s'il se reconnaît tel, s'il condamne lui-même ses fautes, peut toujours espérer que Dieu ne le condamne pas, lui.
SCENE DE TOUS LES TEMPS
Ne croyons pas que cette histoire ne concerne que les contemporains de Jésus. Avez-vous remarqué que, au début, saint Luc a finement précisé que Jésus avait dit cette parabole à l'adresse de "certains convaincus d'être justes et méprisaient les autres".
"CERTAINS" : il n'a pas dit "les pharisiens" donc cette histoire est valable pour tous les temps et pour toutes les religions. Et même d'abord pour nous, chrétiens, car Luc a bien écrit que le pharisien priait en disant : " Mon Dieu, je te rends grâce" en employant le verbe chrétien "eucharistein" / eucharistie !
Nous n'aimons pas ce pharisien bouffi et évidemment, nous nous reconnaissons dans le publicain : nous avouons volontiers que nous sommes de pauvres pécheurs, nous nous frappons la poitrine, nous chantons "KYRIE ELEISON"...et nous dédaignons tous ces gens qui ont belle apparence. " Moi, je ne suis pas comme celui-là qui .....". ET DU COUP NOUS DEVENONS LE PHARISIEN !!! ...dans ce cas Dieu ne nous "justifie" pas !
Retenons bien les leçons données par les paraboles de ces deux dimanches : 1) Comme la pauvre veuve : ne jamais s'arrêter de prier, insister sans nous lasser, exiger que justice de Dieu se fasse, 2) Pas comme le pharisien : rendre grâce, prier sans vanité, sans se comparer à d'autres, sans s'attribuer de mérites...et intercéder pour les pécheurs plutôt que de les juger 3) Comme le publicain : prier en demandant sincèrement pardon, en s'abaissant dans l'humilité, en se remettant à la Miséricorde.