31e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Je ne sais pas pour vous, mais je dois bien reconnaître qu'il y a des gens qui me sont nettement moins sympathiques. Je n'accroche pas avec eux. Ils ne m'intéressent pas et je dirais même plus, ils m'ennuyent profondément. En fait, je dois bien oser me l'avouer, je ne les aime pas. Ils ne sont évidemment pas dans cette assemblée, n'ayez crainte. Pourtant je ne les aime pas. Oh vous me direz cela n'est pas bien. Il faut aimer son prochain, c'est Jésus qui l'a dit. Et de plus, il faut l'aimer comme soi-même, pourriez-vous poursuivre. Et comme vous êtes dominicain et que donc vous vous aimez, il y a un problème, pourriez-vous conclure avec un brin de malice.

Aimer son prochain qui nous dérange et nous ennuie ? Cela exige un sacré sens de l'humour. Et ce d'autant plus que l'amour, un peu comme la foi d'ailleurs, est un sentiment qui ne se commande pas. Comment pourrions-nous dans les faits être capable de décider d'aimer parce qu'un ordre nous a été donné d'en haut. Je m'imagine entrain de vous dire : "Je vous aime parce que Dieu me le demande". Cela ne vous ferait sans doute pas plaisir et ne sonnerait pas juste d'ailleurs. En effet, l'amour ne se commande pas tout comme il m'est impossible de décider de ne pas aimer quelqu'un alors que je l'aime. Nous n'avons pas prise sur nos sentiments d'amour et d'amitié. Mais est-ce peut-être là notre erreur : croire que l'amour dont le Christ nous parle est un élan du c½ur, un sentiment profond qui nous échappe totalement. Le texte grec de l'évangile entendu nous précise mieux l'amour que nous sommes invités à vivre. Il ne s'agit pas d'un amour de sentiment, d'un amour d'amité qui trouve sa source dans notre c½ur. Non, l'amour du prochain est un amour de raison, c'est-à-dire un amour qui demande un acte de notre volonté. Il n'est pas sentiment jaillissant du plus profond de notre être. Il est un amour qui se décide, qui se choisit donc pas l'amour dont on parle habituellement. L'amour du prochain est d'abord et avant tout un amour de respect, un désir de vouloir le bien de l'autre, lui souhaiter tout ce qu'il désire pour pouvoir se réaliser pleinement. Par ces mots, le Christ élargit l'espace de l'amour que nous connaissons pour le faire passer de la spontanéité à la volonté. Une volonté qui convie les créatures que nous sommes à transformer nos regards, nos perceptions des autres pour les faire entrer dans une nouvelle dimension celle du respect de leur altérité, de leur différence. En décidant d'aimer de respect celles et ceux que je rencontre, mon regard se transforme, un sentiment de douceur et de tendresse peut m'habiter puisque mon devoir de chrétien est de vivre pour eux un désir de bonheur et d'épanouissement. L'amour de raison n'est pas une fin en soi mais le début d'un processus, d'une démarche, celle d'apprendre à voir l'autre autrement et à le reconnaître comme quelqu'un partageant la dignité de notre humanité. Peu à peu alors, pas à pas, je me dis qu'une nouvelle relation peut s'installer. Un espace de respect mutuel est possible. Je découvre l'autre comme autre, ayant lui aussi une part de mystère. Cet autre, j'ai à le respecter, à lui permettre d'exister comme lui l'entend. Il en va alors pour mon prochain, comme il en va pour Dieu. Lui aussi, reste pour nous un profond mystère. Mais un mystère qui s'est dévoilé, révélé à nous par l'Incarnation de son Fils. Un Dieu qui s'est fait Verbe, parole donnée. En Dieu, le commandement devient également acceptation du divin dans sa différence, dans sa divinité. Un ensemble de chose nous échappe. Nous sommes dans le champ de l'indicible, de l'ineffable. Et pourtant, c'est ce Dieu là que nous sommes invités à aimer. Aimer Dieu, c'est le respecter malgré le mystère qu'i représente, malgré toutes nos questions face au mal et à la souffrance que nous subissons. L'amour pour Lui, à la mesure de son amour pour nous, est un commandement d'abord. Mais ce commandement n'est pas un ordre mais plutôt un appel et une révélation. Un appel à aimer et à découvrir que notre capacité d'aimer est bien plus grande que ce que nous avions pu imaginer. Comme si pour lui, un jour, nous vivrons en harmonie les uns avec les autres. C'est-à-dire que nous serons véritablement entrer dans l'ère du Royaume de Dieu, celui où il n'y aura plus de différence entre l'amour de sentiment et l'amour de raison puisque seul l'amour existera. Mais ce jour n'arrivera que si vraiment nous nous mettions à aimer dès maintenant. Et il y a du travail pour tout le monde dans l'accomplissement d'un tel commandement. Ne perdons pas de temps pour nous mettre à la tâche. Amen.