31e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LE PETIT RICHE PERDU DEVIENT UN PAUVRE SAUVÉ

La montée de Jésus à Jérusalem atteint son ultime étape : ayant probablement emprunté la route de la vallée du Jourdain, il parvient à Jéricho où il va obliquer vers l'ouest et commencer l'ultime montée qui, à travers le désert, conduit à la capitale (le chemin du « bon Samaritain »).
Grande oasis sur la rive droite du fleuve, Jéricho est, dit-on, une des plus vieilles villes du monde : sise à plus de 200 mètres en-dessous du niveau de la Méditerranée, elle est célèbre pour ses lauriers- roses (Sir 24, 14), ses magnifiques palmiers et ses baumiers à la résine aromatique très recherchée.
En parvenant à Jéricho, Jésus connaît le poids de l'histoire de ce lieu : il faut l'évoquer pour comprendre l'évangile du jour car il y fait référence.
Libérés d'Egypte,  les Hébreux, après la traversée du Sinaï, parvinrent sur la rive orientale du Jourdain où leur guide, Moïse, mourut après avoir nommé son successeur, Josué - nom qui, en hébreu, s'écrit comme « Jésus » (Iéshouah)
Le premier épisode de la conquête de la terre promise est célèbre : après avoir déambulé autour de Jéricho avec l'arche d'Alliance, les prêtres lancèrent les cris des trompettes et sous les acclamations du peuple, les remparts fortifiés de la ville s'écroulèrent. Le massacre fut général sauf pour la prostituée Rahab qui avait accueilli les espions hébreux (Josué 6) : or c'est une ancêtre de Jésus (Matth 1, 5). On sait aujourd'hui qu'à cette époque, la ville n'était plus occupée ! Le récit épique, écrit des siècles plus tard, à la période perse, signifie donc que l'entrée dans le pays de Dieu ne peut être le résultat des armes et de la violence mais le fruit de la prière, de la liturgie, de la foi.
Jésus sait que c'est dans ces environs que le grand prophète Elie fut enlevé vers le ciel (2 Rois 2).
Et il ne peut manquer de se souvenir de Jean-Baptiste qui l'avait baptisé pas loin de là, dans le Jourdain en annonçant « un plus fort que moi qui vous baptisera dans l'Esprit-Saint et le feu » (3, 16). C'est dans les parages qu'il avait affronté les tentations et avait opté pour une méthode non violente (Une colline proche s'appelle encore « le mont de la tentation »)

Ville frontière très commerciale, lieu de passage vers la Transjordanie, Jéricho est un site important pour les revenus douaniers. Rome affermait la perception annuelle des taxes au plus offrant, à charge, pour celui-ci, de récupérer la somme considérable près de ses concitoyens et voyageurs. Avec ce procédé, les « publicains », comme on les appelait, ne manquaient pas de s'octroyer de plantureux bénéfices d'où leur sinistre réputation : le peuple les assimilait aux voleurs.
Le chef des publicains s'appelle alors Zakkaï et Luc nous raconte son inoubliable histoire.

Jésus traversait la ville de Jéricho. Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d'impôts, et c'était quelqu'un de riche. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il n'y arrivait pas à cause de la foule, car il était de petite taille.
Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là.
Au point de départ un homme enfermé : dans sa luxueuse demeure, sa comptabilité frauduleuse, sa passion de l'argent, sa mauvaise réputation. Les gens le détestent pour sa collaboration avec l'occupant et ses rapines ; les pharisiens se détournent de lui avec mépris ; on le catalogue comme un maudit voué à la damnation éternelle. Riche mais seul !
Or ce jour-là un brouhaha éclate dehors et Zachée sort pour voir. Une foule enthousiaste se presse pour acclamer Jésus, le prophète de Nazareth, qui vient de rendre la vue à un aveugle (18, 35) et qui se dirige vers Jérusalem : serait-il le Messie ? Va-t-il enfin nous libérer ? Zachée cherche à voir mais il est petit et se heurte à un mur de dos. Personne évidemment ne s'écarte pour lui permettre de voir. En effet celui qui cherche à voir Jésus commence d'abord par se heurter à la foule qui l'entoure, chante ses cantiques, célèbre ses liturgies sans toujours accueillir l'étranger qui voudrait comprendre.
Déçus par l'Eglise, ulcérés par le manque d'accueil, beaucoup cessent alors de chercher mais Zachée, lui, ne capitule pas. Malin, il se faufile derrière les gens, sort de la ville et grimpe sur un petit arbre : au moins là, personne ne l'empêchera de voir Jésus.

Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l'interpella : « Zachée, descends vite : aujourd'hui il faut que j'aille demeurer dans ta maison. » Vite, il descendit, et reçut Jésus avec joie.
Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un pécheur !! »

Zachée voulait voir mais il est vu ! Surpris et amusé par ce spectacle insolite - un monsieur bien vêtu perché dans un arbre comme un gamin -, Jésus ne passe pas, indifférent, il ne l'accable pas de reproches, ne le somme pas de se convertir, ne se met pas en colère mais l'interpelle avec douceur
« Zachée  (car l'appel est toujours personnel), descends vite (redescends sur terre, ne lambine pas, ne cherche pas de faux prétexte) : Aujourd'hui il faut (car notre rencontre scelle un désir de mon Père) que je demeure chez toi (car si tu voulais me voir, moi aussi je veux voir qui tu es) ».

Il faut imaginer la tête des gens qui voient tout à coup Jésus et ses disciples revenir avec Zachée et pénétrer dans la maison infâme de ce sale publicain : «  Comment ? Il va loger chez un pécheur ? ». « On récrimine » comme on le faisait quand Jésus allait chez Matthieu (5, 30) : quel scandale !

Que s'est-il passé à l'intérieur ? Luc n'en dit pas un mot. Madame Zachée a dû mobiliser tout le personnel pour préparer un bon repas et déjà les apôtres, qui ne mangeaient pas toujours à leur faim, se léchaient les babines. Il n'était pas question de loi, de morale, de théologie mais de commensalité, de la joie de partager ensemble un banquet. Et tout à coup (après quelques verres de vin ?), le petit homme se dresse et fait une déclaration époustouflante :
« Voilà Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens - et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois plus ».
Parce qu'il a osé inviter un groupe de pauvres chez lui, parce qu'il a constaté la joie qui animait Jésus et ses disciples, parce qu'il ne s'est pas senti jugé et menacé, le petit homme qui aimait l'argent et le luxe prend conscience qu'il servait une idole, qu'il avait fait beaucoup de tort à ses compatriotes. C'était lui le vrai aveugle qui enfin ouvrait les yeux sur la vérité de sa vie.

Alors Jésus dit à son sujet : « Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham. En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Comme l'ancêtre Abraham qui, en dépit de son âge, avait osé faire confiance à Dieu qui l'appelait à sortir, comme Rahab, la prostituée, qui avait cru, Zachée aujourd'hui ose croire en Jésus son sauveur.
Il cherchait « à voir qui était Jésus » : à présent en effet, il voit, il discerne en lui le Messie humble qui l'a rejoint à sa hauteur, le nouveau Josué qui ne conquiert plus une ville par les armes mais qui, par sa parole, fait s'écrouler les murs de l'avarice et de la cupidité.

Alors le petit Zachée entre dans le Royaume où il faut restituer ce que l'on a dérobé, où l'argent n'est plus l'idole meurtrière, où le puissant n'écrase plus le faible, où la joie du partage est plus forte que le plaisir du luxe, où la maison s'ouvre aux démunis, où la table devient l'autel du pardon et de l'action de grâce. Chez Luc, la conversion d'un riche est l'ultime « miracle » de Jésus, comme un point d'orgue, un sommet rare !
Jésus poursuit son chemin : comme Elie, il sait qu'à Jérusalem il sera enlevé au ciel.