LA RÉSURRECTION EXIGÉE PAR LA JUSTICE
Nous étions à Jéricho, ultime étape de la montée de Jésus vers Jérusalem. Luc raconte ensuite son entrée sur un ânon et son intrusion dans le temple dont il chasse les vendeurs. La Pâque approche et les pèlerins affluent dans la capitale : l'ambiance monte. Pendant ces quelques jours, Jésus s'installe sur l'esplanade et « il enseigne ». Excédés, des membres du grand Sanhédrin voudraient le supprimer mais n'en trouvent pas le moyen car « tout le peuple, suspendu à ses lèvres, l'écoutait » (19, 47-48).
A trois reprises, ces autorités vont tenter de prendre Jésus en défaut :
- d'abord on le somme de se justifier : « En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? ». Jésus répond par la parabole de la vigne où il se compare « au fils bien-aimé » du Maître qui est tué par les vignerons (20, 1-19)
- puis on l'interroge sur le problème épineux de l'impôt à l'Empereur. Jésus répond par une déclaration célèbre : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (20, 20-26).
- enfin des sadducéens le questionnent sur la résurrection : c'est l'évangile de ce dimanche (20, 27-39).
L'enseignement de Jésus sur ces 3 points revêt donc une importance capitale puisqu'il révèle ses convictions profondes à l'approche de son exécution :
-il est conscient de sa dignité de Fils et du destin de mort qui l'attend dans les prochains jours
-il ne vient pas comme un Messie politique pour susciter une révolution armée.
-il croit à la résurrection (déjà affirmée en 14, 14)
LA FOI EN LA RESURRECTION
Pendant tous les premiers siècles de son existence, Israël était convaincu que la mort est bien la fin de la vie. Les défunts divaguent comme des ombres inconsistantes dans un lieu souterrain qu'on appelle « le shéol » où il n'y a plus sentiments ni relations mais grisaille informe et sinistre, quelque chose qu'on ne peut vraiment appeler « vie ».
En 167 avant notre ère, l'empereur syrien Antiochus Epiphane, dans le but d'unifier tous ses peuples sous une même religion, décida d'éliminer la particularité juive. La révolte, conduite par Judas Maccabée, conduisit à un certain succès mais il y eut beaucoup de morts. C'est alors que l'interrogation sur le sort des défunts devint plus aigüe : est-il possible que Dieu réserve le même sort aux justes qui ont donné leur vie pour lui et aux impies ? Un livre paru sous le nom de Daniel évoqua alors le jugement dernier :
: «Ce sera un temps d'angoisse tel qu'il n'en est jamais parvenu...En ce temps-là, ton peuple en réchappera, quiconque se trouvera inscrit dans le Livre. Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour l'opprobre, l'horreur éternelle. Et les gens sages resplendiront comme la splendeur du firmament... » (Dn 12, 1-3).
Le récit du martyre des 7 frères - sans doute enjolivé par la légende - manifesta la foi nouvelle. Refusant les m½urs païennes, au moment d'être exécutés, ils professent: « Scélérat, tu nous exclus de la vie présente mais le Roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 Macc 7, 9). Héroïque, la maman les exhortait : « ...Le Créateur du monde qui a formé l'homme à sa naissance vous rendra, dans sa miséricorde, l'esprit et la vie parce que vous vous sacrifiez maintenant pour l'amour de ses lois » ( 2 Macc 7, 23).
Dieu est juste : il ne peut abandonner ceux qui sont morts pour lui. A partir de là, la croyance va se répandre dans le peuple, notamment sous l'influence des Pharisiens qui y croyaient absolument.
UNE FAUSSE CONCEPTION
Des sadducéens - ceux qui prétendent qu'il n'y a pas de résurrection - vinrent trouver Jésus, et ils l'interrogèrent : « Maître, Moïse nous a donné cette loi : Si un homme a un frère marié mais qui meurt sans enfant, qu'il épouse la veuve pour donner une descendance à son frère.
Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d'enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l'épouse, puisque les sept l'ont eue pour femme ? ».
Les sadducéens appartenaient à l'aristocratie sacerdotale de Jérusalem. N'acceptant comme Ecritures saintes que les 5 livres du Pentateuque (Gen, Ex, Lev, Nb, Deut), ils niaient la résurrection des morts puisqu'elle n'y était pas mentionnée. Pour se moquer de cette croyance, ils inventent un cas ridicule basé sur la loi dite du « lévirat » permettant le remariage de la veuve (Dt 25, 5 - mais qui n'était plus appliquée en ce temps-là). Jésus va répondre en deux temps.
1) UNE RESURRECTION « SPIRITUELLE »
Jésus répond : « Les enfants de ce monde se marient. Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection d'entre les morts ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont fils de Dieu, en étant héritiers de la résurrection.
La conception des sadducéens est ridicule en projetant dans l'au-delà nos conditions terrestres. Si, sur terre, le mariage permet, avec l'enfant, un certain prolongement de la vie, il n'en va plus de même après la mort. La résurrection est une re-création (il vaut mieux parler de « réanimation » de Lazare). Paul expliquera : « Ce que tu sèmes n'est pas la plante mais une graine...Il en est ainsi pour la résurrection des morts : semé corruptible, le corps ressuscite incorruptible...éclatant de gloire...corps spirituel » (1 Cor 15, 35...)
2) LA CERTITUDE DE LA RESURRECTION
Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : « le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob ». Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui. »
Comme Jésus doit argumenter à partir de la Torah des sadducéens, il s'appuie sur l'épisode du buisson ardent où YHWH se manifeste à Moïse : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob » (Ex 3, 6). En répétant chaque fois « Dieu de... », YHWH rappelle qu'il a fait Alliance avec chacun de ces Patriarches et que la mort ne peut anéantir cette Alliance - sinon la mort se montrerait plus forte que Dieu. L'Alliance vivifie le croyant, elle le rend participant de la Vie divine de façon définitive. Toutefois si les livres de Daniel et des Maccabées évoquaient la condamnation des impies, Jésus ici ne parle pas de leur sort. Se sont-ils rendus incapables de revenir à la Vie ?
Alors certains scribes prirent la parole pour dire : « Maître, tu as bien parlé. »
Et ils n'osaient plus l'interroger sur quoi que ce soit.
Les scribes, en majorité d'obédience pharisienne, croyaient à la résurrection : aussi sont-ils très contents de la réponse de Jésus. Plus tard, devant le Sanhédrin, le prisonnier Paul s'écriera : « Frères, je suis pharisien, fils de pharisien ; c'est pour notre espérance, la résurrection des morts, que je suis mis en jugement... ». Cette déclaration était à peine achevée qu'un conflit s'éleva entre pharisiens et sadducéens...lesquels soutiennent qu'il n'y a pas de résurrection... » (Actes 23, 6)
*** La longue hésitation de l'Ancien Testament montre combien la foi en la résurrection est difficile. Il a fallu une terrible persécution religieuse pour qu'Israël la découvre peu à peu comme exigée par la Justice de Dieu, par le prix de la vie humaine et la valeur essentielle de la Loi de Dieu, par la conception de l'unité de l'homme, corps et âme.
32e dimanche ordinaire, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013