32e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Arnould Alain
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2007-2008

Voilà 62 ans que les démons de la guerre ont quitté notre pays. Après deux guerres mondiales aux horreurs indescriptibles ici même dans ce petit coin de terre, la paix est venue nous revisiter. Soixante-deux ans de paix où nous avons pu nous organiser librement en politique comme en association, où l'activité économique a pu se développer assurant un niveau de vie jamais atteint, où les arts et les opinions ont pu s'exprimer en toute liberté. Soixante-deux ans de bien-être. Un trésor que nous acceptons comme acquis et comme la plus banale des normalités. Pour moi-même et pour la plus grande partie de la population, la guerre est devenue une notion abstraite, connue uniquement par des images et quelques sons, tenus à bonne distance derrière un écran. Il est heureux qu'il en soit ainsi. La guerre est une plaie, une monstruosité qui ne rejoint en rien le dessein que Dieu a pour l'humanité. Les poèmes qui rythment cette Eucharistie et qui ont été mis en musique pour l'occasion sont des cris face aux énormes blessures physiques et humaines. La guerre est une folie humaine, une Dulle Griet meurtrière si bien dépeinte par Pieter Brueghel dans son tableau au Musée Mayer Vandenbergh à Anvers. Quel bonheur de vivre dans un temps de paix !

Dans cette ère de paix, je vous invite à deux démarches. La première est celle l'action de grâce. Car, si nous avons le privilège de vivre en paix aujourd'hui, ce n'est pas un hasard. Non ce n'est pas une coïncidence ou le fruit d'une évolution logique. Si nous pouvons vivre en paix aujourd'hui, c'est que l'Esprit de Dieu a soufflé sur nos peuples. Plus particulièrement, il a inspiré une poignée d'hommes qui ont su trouver des attitudes justes et fortes pour réconcilier ce qui pouvait paraître irréconciliable. Alors que notre continent baignait encore dans le sang et les ruines, alors que des blessures ouvertes comme des gouffres criaient à la vengeance, les Schuman, Adenauer, Spaak, de Gaspari et autres, anonymes aussi d'ailleurs, ont su construire des ponts envers et contre tout. Pour ce faire, ils ont choisi, avec une audace inimaginable, d'agir sur des lieux de pouvoir, pommes de discorde par excellence : la politique d'acier et du charbon, clé de toute l'économie de l'époque de l'après-guerre. C'est sur cette démarche que s'est construit la confiance entre les ennemis et que la paix à pu venir semer ses fruits. Souvenons-nous de leur audace prophétique et rendons grâce à Dieu pour leur dévouement à doter nos pays d'un outil de réconciliation et pour la paix qu'ils nous ont assuré. Bienheureux, ces artisans de paix !

Une deuxième démarche est celle de la vigilance. Les béatitudes que nous venons d'entendre sont un appel pressant et radical à rester éveiller. Car la paix n'est pas un droit acquis, une condition de vie normale, évidente ou naturelle. Sans artisans de paix, sans vigilance, sans efforts et sans sacrifice, la paix que nous connaissons aujourd'hui pourrait bien vite s'évaporer. Pour donner une chance à la paix, nous devons en vigilance lire les signes du temps.

Car la paix a des racines dans ce que nous vivons. o Une première de ces racines s'appelle réconciliation. Pour de petites ou de grandes blessures, il faut l'audace de demander et de recevoir le pardon en vérité. Réconciliation entre les pays riches et les pays en voie de développement, réconciliation au sein des églises chrétiennes et avec d'autres familles de foi, réconciliation entre générations, réconciliation entre flamands et francophones, réconciliation dans nos insertions professionnelles et associatives et au sein de nos familles. Si notre orgueil ne cède pas le pas à l'humilité, cette racine se dessèchera et privera la paix de nourriture vitale. o Une autre de ces racines s'appelle justice. Paix et justice s'embrassent nous dit le psaume. Quand la disparité de salaire devient trop grande, quand la connaissance n'est pas accessible à tous, quand la répartition des richesses n'est pas équitable, quand la notion de bien commun se dilue, quand les ressources dont Dieu a doté notre planète ne sont pas partagées équitablement avec tous ceux qu'Il a créés à son image, cette racine qui alimente la paix vient à mourir. La justice est le terreau de la paix. o Une troisième racine se nomme ouverture. Toute sa vie, le Christ est parti à la rencontre des autres, de ceux qu'Il ne connaissait pas et de ceux n'appartenaient pas naturellement à sa catégorie sociale. Toute sa vie il a construit des ponts avec ceux qui étaient des étrangers. C'est pour cela que les hommes lui ont donné le nom de 'Prince de la Paix'. Ouvrons donc largement nos c½urs à la différence et aux autres.

Les noms de ces racines sont inscrits dans les évangiles. Jésus les a enseignés avec insistance à ses disciples. Comme chrétiens, nous avons donc une responsabilité particulière à soigner ces racines de réconciliation, justice et d'ouverture. Par notre baptême, nous sommes devenus des prophètes. Le vêtement blanc dont nous avons été revêtus ce jour là est aussi celui de prophète de la paix. Il nous faut prendre avec audace nos responsabilités si nous ne voulons pas que s'épuise l'élan de paix qui procure du bonheur à notre pays. La paix c'est la volonté de vivre ensemble, en surmontant les griefs du présent et du passé en reconnaissant et valorisant nos différences. Ne nous contentons pas de mots ! A chacun d'entre nous de trouver son terrain d'initiative : partager un repas avec celui qui ne partage pas notre langue, nos idées, notre foi, notre rang social, notre histoire. Car heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu.