Une Eglise à convertir à la simplicité
Dans un pays sous la botte romaine depuis plus de 90 ans, qu'un jeune prophète soit déclaré de la famille royale de David, qu'il annonce la venue imminente du Royaume de Dieu, qu'il manifeste sa puissance par des miracles spectaculaires, qu'il décide de monter à Jérusalem entraînant à sa suite un groupe de disciples et une foule de plus en plus nombreuse, voilà qui ne pouvait qu'ameuter toute la population sur son passage.
C'est pourquoi, lorsque Jésus entra dans la capitale, on fit un accueil triomphal à celui qui incarnait l'espérance de la libération. " Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père" hurlaient les gens (11, 10). Avec un tel chef, beaucoup ne doutaient plus: "le Jour de Gloire est arrivé", le combat pour l'indépendance nationale va éclater et il ne pourra être que victorieux.
Or - et on ne méditera jamais suffisamment sur ce sujet - Jésus ne lance pas ses troupes à l'assaut de la citadelle de Pilate; au contraire il va tenter de purifier la religion de son peuple ! Le problème pour lui n'est pas politique, militaire, nationaliste, ni même moral (expurger la ville des bandits et prostituées) mais religieux: qu'en est-il du culte ? comment se comportent les dirigeants religieux ?
Jésus va s'attaquer aux dérives religieuses avec grande violence tant, pour lui, l'enjeu est fondamental: c'est dans ce but qu'il est venu. Et il le sait depuis longtemps: sa lutte pour la conversion de ceux qui ne voient pas qu'ils devraient se convertir lui coûtera cher. Rien moins que sa vie. Mais là est sa mission. Et ainsi naîtra le vrai Israël.
Jésus pénètre dans le temple et il en chasse les marchands installés sur l'esplanade; ceux-ci, ne l'oublions pas, payaient bien cher leur emplacement au Grand Prêtre !!! Par son geste, Jésus s'attaque au portefeuille des puissants ! Audace impardonnable, risque mortel, toujours !!!- 11, 15
Puis Marc raconte 5 controverses qui opposent Jésus aux dirigeants: l'ancien charpentier d'un petit village et qui n'a pas fait les longues études nécessaires, déjoue tous les pièges de ses adversaires et fournit les réponses justes, à la grande joie du petit peuple qui l'écoute avec ravissement. "Un laïc" comme eux cloue le bec aux sommités: quel régal !
Enfin, non seulement il répond à leurs questions pièges mais il dénonce la fausseté de leur comportement: = évangile de ce dimanche.
JESUS CRITIQUE LES DEFAUTS DES SCRIBES
Dans son enseignement Jésus disait: " Méfiez-vous des scribes:
- ils tiennent à sortir en robes solennelles,
- ils aiment les salutations sur les places publiques,
- les premiers rangs dans les synagogues et les places d'honneur dans les dîners.
- Ils dévorent les biens des veuves
- Ils affectent de prier longuement.
Ils seront d'autant plus sévèrement condamnés"
Les scribes tenaient une place primordiale en Israël: après la catastrophe de - 587 (destruction de Jérusalem, incendie du temple, exil de l'élite ) et le retour en - 536, le grand Scribe ESDRAS avait convaincu le peuple que ce désastre avait été subi non à cause de la puissance de l'armée babylonienne mais en conséquence des infidélités répétées envers la Loi de Dieu. C'est parce que rois, prêtres et chefs n'avaient pas mis la Loi en pratique que les ennemis avaient écrasé Israël.
C'est pourquoi il fallait donc revenir d'urgence à une observance minutieuse de tous les décrets, de toutes les fêtes, de tous les sabbats. D'où l'importance capitale d'hommes lettrés, capables non seulement de bien lire et d'interpréter les moindres détails de la Loi mais connaissant en outre parfaitement la Loi orale, la Tradition non écrite.
Le destin d'Israël dépendant de la pratique de la Loi, la fonction des scribes était essentielle: ils étaient les spécialistes que l'on consultait sur les points débattus, les théologiens qui éclairaient les passages obscurs des Ecritures, les enseignants des antiques traditions. Ils étaient les "Maîtres" en Israël, vénérés pour leur science, leur intelligence, leur mémoire.
Mais...!?
Mais hélas, si nombre d'entre eux étaient sans doute de bons croyants, honnêtes, modestes, sincères, édifiants, d'autres, grisés par leur succès, étaient tombés dans les travers qui guettent tous ceux qui sont l'objet de la faveur populaire. Et Jésus de souligner cinq défauts :
- ils revêtaient des habits spéciaux avec de beaux ornements qui les distinguaient.
- ils étaient flattés par les courbettes, les multiples salutations qu'on leur adressait en rue.
- évidemment on leur offrait les places d'honneur dans toutes les manifestations.
- Il y avait pire que leur vanité : ils étaient habiles pour se faire offrir de beaux cadeaux, s'attirer les héritages des veuves isolées. Très grave péché car la Torah exigeait que l'enseignement soit offert gratuitement et ne devienne jamais source de revenus.
- On les voyait fréquemment en prière en public...mais Jésus dénonce leur hypocrisie: leurs longues prières n'étaient qu'affectation, simulation afin justement de s'attirer les bonnes grâces et l'admiration des naïfs.
Vanité, cupidité, hypocrisie: ces mensonges, affirme jésus, ne pourront qu'attirer un plus grand châtiment de Dieu puisque ces hommes devaient savoir qu'ils enfreignaient la Loi qu'ils étaient chargés d'expliquer !
LA GENEROSITE EST PROPORTIONNELLE
A l'opposé de ces savants intéressés, Jésus propose l'exemple d'une pauvresse:
Jésus s'était assis dans le temple en face de la salle du trésor et regardait la foule déposer de l'argent dans le tronc. Beaucoup de gens riches y mettaient de grosses sommes.
Une pauvre veuve s'avança et déposa deux piécettes. Jésus s'adressa à ses disciples: " Amen je vous le dis: cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tout le monde. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence: elle a tout donné, tout ce qu'elle avait pour vivre".
Jésus rectifie nos jugements spontanés: nous admirons tel homme qui offre une grosse somme d'argent ...mais ce don ne lui coûte pas grand chose puisqu'il est très fortuné. La générosité doit s'évaluer selon une proportion: par égard à ce que l'on possède. Et en ce sens, il est connu que les pauvres se montrent souvent bien plus généreux que les nantis. C'est une pauvre veuve à toute extrémité qui accueillit le prophète Elie en lui donnant ses ultimes provisions ( 1ère lecture )
AUJOURD'HUI
L'Eglise appelle souvent le monde à devenir meilleur, elle multiplie les documents sur la justice et la paix, elle dénonce des comportements inacceptables. Et si d'abord elle travaillait surtout à sa propre conversion ? Si, comme Jésus le voyait de son temps, elle avait conscience que le 1er problème, c'est elle ? Ainsi, par exemple, les conflits entre nations ne sont-ils pas moins scandaleux que les déchirures des Eglises ?
Heureusement, sous l'impulsion de Jean XXIII et après le concile, la hiérarchie de l'Eglise a fait quelque progrès en simplifiant rites et décorum; on a éliminé les titres ronflants; les prélats ont simplifié leur garde-robe et raccourci leurs traines; la liturgie est devenue moins triomphale.
Qu'il faille encore oser des réformes plus radicales, qui le nierait ? Pierre, le 1er pape, Paul, le grand apôtre, étaient habillés comme des gens du peuple, sans décorations ni insignes; personne ne leur attribuait des titres ronflants; ils n'habitaient pas des palais ! Les liturgies se déroulaient à l'intérieur des maisons, sans or ni pierres précieuses, sans robes ni dentelles. On ne cherchait pas à éblouir le peuple par le faste : l'autorité venait de la foi vécue, de la conviction et de la sincérité. On ne marquait pas des zones religieuses, "sacrées" , séparées du domaine "profane" de la famille et du travail.
Et les apôtres, éclairés par cet évangile du jour, veillaient à ne faire acception de personne, à ne pas se laisser acheter par des générosités feintes.
Ils s'inclinaient avec respect devant la pauvre vieille mal fichue qui n'avait donné qu'une piécette.