Une Humanité Heureuse
Alors qu'elle est traitée par beaucoup de mégère pessimiste, culpabilisante, prophétesse de malheurs, l'Eglise a la joyeuse audace de clore son année liturgique - qui symbolise l'histoire du monde - par une fête qui célèbre la certitude de la réussite du Projet de Dieu. Elle ose proclamer que l'être humain, capable des pires crimes et des horreurs les plus abominables, peut aussi, par la grâce de Dieu, accomplir sa vocation fondamentale, devenir d'une incroyable beauté, être SAINT.
Elle ne dit pas qu'il y d'un côté des bandits, des pervers, des damnés et de l'autre des innocents et des parfaits: elle dit aujourd'hui que tout être humain, si bas soit-il tombé, peut, s'il y consent, atteindre la lumière. Abominables et innombrables peuvent être les chutes: elles ne sont jamais irrémédiables.
" Là où le péché abonde, la grâce surabonde": avec quelle exultation saint Paul écrivait ces mots, lui qui avait été rencontré par un Messie lui offrant son pardon.
La Toussaint n'exige pas que, pour être saints, nous réalisions des exploits prodigieux, que nous nous immolions aux flammes, que nous acceptions de nous dépouiller jusqu'à la nudité, que nous vivions des phénomènes mystiques. Certes des chrétiens ont accompli des merveilles mais eux, ils ont leur jour de fête; tout au long de l'année, nous célébrons leur mémoire, nous les appelons " Saint...Sainte...". Aujourd'hui la Toussaint nous tourne vers la foule des anonymes de la sainteté, ces fidèles dont le journal n'a jamais parlé, à qui nul monument n'a été dressé, dont on n'a jamais écrit la biographie mais qui, dans leurs humbles tâches quotidiennes - famille, profession, voisinage, loisirs, politique... -, ont tout bonnement, et souvent sans s'en rendre compte, obéi à Dieu et vécu selon ses commandements.
La Toussaint torpille la conception janséniste d'une petite élite de sauvés contemplant de haut la masse des damnés et elle nous fait partager la vision merveilleuse de Jean:
" J'ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples...
Ils se tiennent debout devant le Trône de Dieu et devant Jésus, l'Agneau immolé,
en vêtements blancs, des palmes à la main.
Et ils proclament: " Le salut est donné par notre Dieu, qui siège sur le trône, et par l'Agneau ! "
Livre de l'Apocalypse 7, 2-14 = 1ère lecture du jour.
La Toussaint nous dit que la sainteté n'est pas une utopie cachée dans un futur incertain, derrière l'horizon de la vie terrestre: notre transfiguration est commencée. Si nous écoutions saint Jean, nous saurions que déjà, tout de suite, sans attendre, nous pouvons goûter le bonheur de la vie avec Dieu:
Mes bien-aimés, voyez comme il est grand l'amour dont Dieu nous a comblés:
il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu - et nous le sommes !.
Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître puisqu'il n'a pas découvert Dieu.
Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement
1ère lettre de Jean 3, 1-3 = 2ème lecture
Savons-nous assez l'honneur (immérité), le privilège (gratuit), la joie (bouleversante) de parler à Dieu en lui disant: PERE ... NOTRE PERE ...? Etre saint, c'est accepter d'être aimé.
Les HUIT BEATITUDES : PORTIQUE DU ROYAUME
La Toussaint nous dit que la foi est bonheur: non un petit bonheur mesquin, fragile et éphémère comme une bulle qui serait notre refuge contre les coups de la vie. Mais un bonheur qui est dynamisme, recherche toujours tendue, désir toujours ouvert.
Ce bonheur est décrit par le Seigneur Jésus dès sa prédication inaugurale: huit béatitudes qui se ramènent à quatre couples selon les orientations profondes de l'être humain.
L' HUMILITE.
Heureux les pauvres en esprit: le Royaume de Dieu est à eux.
Heureux les doux: ils obtiendront la terre promise.
La première condition - tous les Saints l'ont redit - est l'humilité, la conscience de son indigence, le refus de se construire sur ses idées propres, son génie, ses biens, ses possessions. La pauvreté n'est pas habillée de loques: elle signifie le retour à l'enfance, à la confiance en l'Autre, à l'abandon à sa volonté.
LE DESIR
Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassasiés.
Il ne s'agit pas d'être joyeux lors d'un deuil: les pleurs sont ceux du juste qui est passionné par le royaume de la justice de Dieu, qui souffre de voir tant de malheurs: parce que l'amour n'est pas aimé, parce que les hommes bafouent le droit, parce qu'ils se laissent défigurer par le mal, parce qu'ils saccagent le monde que Dieu leur a offert.
Le saint ne se résigne pas au triomphe de l'ignominie, aux blasphèmes contre Dieu et contre l'homme. Il a passionnément soif du Règne de Dieu, d'un monde équilibré où tous les hommes pourraient s'épanouir. Il veut une authentique "société de consommation": non une frénésie d'achats mais un accomplissement de l'amour.
LE C¼UR
Heureux les miséricordieux: ils obtiendront miséricorde.
Heureux les c½urs purs: ils verront Dieu.
Le salut se joue dans le c½ur, au centre de la personne. Malheur au c½ur endurci, enfermé dans ses volontés propres, tellement retourné sur lui-même qu'il ne voit pas l'autre ni Dieu. Mais bonheur au c½ur tendre qui compatit à la misère, qui ne condamne pas autrui mais le regarde avec compassion, toujours prêt à l'aider, à le servir, à lui pardonner. Alors ce c½ur, débarrassé de sa coque d'égoïsme, libéré de sa prison, purifié de ses miasmes - comme un minerai est purifié de ses scories - pourra voir Dieu. Sans extases ni apparitions, il jouira de la Présence de Celui à qui il a offert son c½ur.
LA PAIX
Heureux les artisans de paix: ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le Royaume de Dieu est à eux.
Le saint cesse de vouloir en imposer aux autres; il perd toute idée de vengeance. Dans la jungle qu'est souvent la société humaine, il refuse d'être un animal qui agresse: il veut être un homme qui jamais ne se résigne à l'hostilité permanente, à l'état de guerre perpétuelle. Son patriotisme ne veut pas dire haine de l'étranger; sa couleur de peau ne le rend pas raciste; son statut social ne le remplit ni de morgue ni d'envie; son christianisme ne le juche pas sur un piédestal.
Et il accepte - car il le constate tout de suite - que s'il opte pour le bonheur de la paix, il sera épié, critiqué, vilipendé, combattu, arrêté, jugé, condamné.
Et, avec la grâce de Dieu, il fera cette expérience paradoxale d'être heureux au sein même de ses souffrances. Ainsi recevra-t-il la preuve que son Dieu ne lui a pas menti.
Que la Toussaint perde pour nous son brouillard, son odeur de chrysanthèmes et de feuilles mortes.
Devant les tombes qui réveillent tant de souvenirs, que nos larmes ne nous empêchent pas de nous réjouir.
Dieu n'a pas fait l'homme pour la mort mais pour qu'IL VIVE !
Si la nature descend dans la nuit de l'hiver, c'est pour se réveiller au printemps.
Si nos défunts sont retournés à la poussière, c'est pour en resurgir dans la Lumière de la Résurrection.