32e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012


Il y a bien longtemps, lorsque j'étais jeune et innocent à l'école primaire, ?un de mes professeurs avait relevé le défi d'amener toute la classe au musée des beaux arts à Bruxelles, pour une excursion scolaire.
J'ai malheureusement presque tout oublié de la visite mais je n'oublierai jamais cette image un peu surréaliste des élèves de ma classe, massés dans le hall d'entrée du musée, autour d'un tronc remplis de pièces et des billets donnés pour soutenir le musée. Ce n'était pas vraiment une ½uvre d'art, mais c'était ce qui avait capté l'attention des turbulents élèves que nous étions, curieusement plus intéressés par l'amassement des devises étrangères dans ce tronc en plexiglas que par les ½uvres de Bruegel l'ancien et de Rubens autour de nous. Je n'ose imaginer les visiteurs amusés nous regardant.


Mais imaginez maintenant Jésus, assis dans le temple, regardant --nous dit le texte-- comment la foule mettait de l'argent...
Il est révélateur que Marc ait choisi cet épisode de l'offrande de la veuve pour terminer l'enseignement et la vie publique de Jésus. Symboliquement, par son don, la veuve de l'évangile offre bien plus que ce qu'elle a, elle offre son manque, sa vulnérabilité. Elle donne ce qu'elle est, tout simplement.?En effet, cette veuve offre sa pauvreté et son manque. Elle ne met pas son superflu, son surplus, mais elle offre littéralement ce qu'il y a en bas, ses zones d'ombres, ce qu'il y a au fond d'elle-même. Le mot grec utilisé pour signifier d'où vient le don de la veuve est le mot usteros, qui signifie ce qui est en bas, ses tripes, son ventre. La veuve qui met deux pièces dans le trésor, c'est comme si elle vivait un déplacement et qu'elle se dépossédait de la seule part d'égoïsme qui lui restait encore. 
En effet, le centre de gravité pour un être humain est toujours son ventre, à hauteur du nombril, de son appétit. Mais lorsque nos fragilités et nos faims sont déposées, notre c½ur est plus léger à offrir et voilà que nous devenons féconds. La part de peur et de fragilité au fond de nous, quand elle est déposée, nous libère et nous tire vers le haut. ?
Quant à nous, l'enjeu n'est pas simplement ce que nous donnons, mais plus profondément, comment nous donnons notre vie, comment nous offrons ce qui est au fond de nous et ce que nous fait vivre. C'est en effet en se débarrassant de ce qui nous tire vers le bas que nous pouvons vivre, ?que nous pouvons nous libérer non pas de nous-mêmes, ?mais de ce qui nous empêche d'avancer.

Et comme pour tout don véritable ou toute décision difficile à prendre, il s'agit  de trancher, de quitter le centre de gravité de notre ventre, pour rejoindre le c½ur de l'être aimé et de notre prochain. Ce mouvement d'amour et de don ne peut jamais venir d'une fausse culpabilité, mais de la simple ?prise de conscience que c'est en se donnant que l'on se retrouve soi-même. ??Car c'est lorsque nous sommes émus aux entrailles que nous parvenons à donner ce que nous sommes essentiellement. ?C'est cela donner sa vie, c'est cela aussi aimer. ?Aimer quelqu'un, s'engager envers lui, partager des moments de vérité avec un être cher, ce n'est pas jouer et donner son superflu, la périphérie de son être, ses bons côtés ou ses sourires.  Donner sa vie, c'est se donner tout entier, sans fard ni masque, avec ses manques et donc sa pauvreté.
Donner sa vie, c'est donc donner ses échecs et ses défauts, offrir ses deuils non cicatrisés, son passé blessé, car nous sommes toutes et tous des êtres de désir et de rêves non comblés. Mais nous sommes invités à déposer tout cela... pour vivre.
Le paradoxe du don de la vie est total. ?En effet, donner sa vie, ?c'est donner non pas ce qu'on a, mais paradoxalement ?ce qui ne nous appartient ultimement pas, la vie. ?C'est cela le don de la vie. ?Donner son être, comme le ventre d'une mère donne la vie, ?c'est découvrir que le miracle de la vie ne nous appartient pas.

Alors, ne nous enfermons pas dans notre superflu, ?mais retrouvons l'essentiel, ?pour nous donner totalement dans ce que nous sommes, ?Car si le superflu est parfois facile et éphémère, ?le don de ce que nous sommes coûte, ?mais il est un don véritable, au goût d'éternité. Amen.