Ne pas se fier aux apparences
Les évangélistes notent à plusieurs reprises les controverses que Jésus a eues avec les pharisiens, l’opposition à laquelle il s’est heurté de la part des scribes, l’hostilité manifestée par des grands prêtres de Jérusalem et qui les poussera finalement à demander l’exécution de ce blasphémateur. Ils rapportent également certains propos très durs de Jésus à l’endroit de ses adversaires : « Malheur à vous, pharisiens… » (Matt 23, 13 ; Marc 7, 1 ; …). Et ensuite, les « Actes des Apôtres » et les lettres de Paul montrent que les premières générations chrétiennes ont été combattues par ces mêmes autorités juives.
Mais dans la suite la situation s’est complètement retournée et c’est l’Eglise qui, s’appuyant sur ce passé, a développé un antijudaïsme de plus en plus farouche, tournant parfois à la haine et provoquant des massacres. On disait que c’est « le peuple d’Israël » ( ??) qui a refusé le Christ et on taxait la religion juive de « pharisaïsme »( ??) compris désormais comme hypocrisie et fourberie pieuse.
Une lecture historique perçoit que la dévotion hypocrite, le légalisme endurci et le culte mensonger ne sont pas des fautes spécifiquement juives mais des dérives qui guettent toutes les religions. Si les évangiles dénoncent tous ces défauts et ces perversités qui ont aveuglé les responsables d’Israël, ce n’est pas parce qu’ils étaient juifs mais parce que ces mêmes défaillances guettaient à présent les Eglises chrétiennes. Le pharisaïsme n’est pas juif mais religieux en général ; la foi chrétienne, elle aussi, peut se durcir en un catalogue de lois, des prélats peuvent devenir haineux, des tribunaux chrétiens peuvent porter des condamnations mensongères.
Tout évangile n’est pas un souvenir d’hier mais un avertissement pour aujourd’hui.
- LE GOÛT DES HONNEURS
Dans son enseignement, Jésus disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
L’entièreté et l’intégrité de la religion d’Israël reposant sur la Torah, il était indispensable que des intellectuels, des érudits subtils, se consacrent à l’étude et à l’interprétation des Ecritures sacrées. Ces maîtres étaient vénérés par le peuple qui admirait leur érudition et les consultait en cas de litige. La plupart d’entre eux étaient des hommes humbles, pauvres, pleins d’amour de Dieu et de leur peuple mais, comme partout, certains se haussaient le col, se grisaient de leur science.
Et Jésus a de longtemps remarqué que cette vanité guette ses apôtres : ils se disputaient pour savoir qui était le plus grand parmi eux (9, 34) ; ils ne voulaient pas accueillir les petits enfants (10, 13) ; ils rivalisaient pour occuper les places d’honneur autour d’un Messie glorieux (10, 37). Jésus les met en garde.
« Pas de vêtements d’apparat » : Pierre, Jean, Paul seront toujours vêtus comme tout le monde, nul insigne ne signalera leur importance, ils ne connaîtront pas d’habits liturgiques.
« Pas de recherche d’acclamations » : pas de fans, pas de piédestal, pas de fascination de l’audimat.
« Pas de places d’honneur » : que le plus grand se glisse à la dernière place, désire servir, soit esclave des autres (10, 43)
« Pas de cupidité » : pas de ruse pour capter des héritages, pas d’intrigue pour devenir riche.
« Pas de dévotion hypocrite » : « pas faire de longues prières ostentatoires pour se faire applaudir car vous aurez là votre récompense près des gens… » (Matt 6, 5)…mais vous serez d’autant plus jugés par Dieu.
- QU’EST-CE QUE LA GÉNÉROSITÉ ?...
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes.
Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie.
Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Sur l’esplanade, le long d’un bâtiment du Temple, il y avait 13 réceptacles en forme de cornes de bélier (selon les 13 attributs de Dieu – Ex 34,6) et destinés à recevoir les dons des pèlerins qui affluaient surtout à l’approche de la Pâque. Alors que certains riches montraient avec ostentation combien de grosses pièces ils glissaient dans les troncs sous les regards admiratifs de l’entourage, voici qu’une femme à l’apparence bien misérable s’approche et met quelques centimes.
A ses disciples portés à admirer les riches donateurs, Jésus va faire une leçon : la générosité ne se mesure pas à l’importance du don mais au rapport avec ce que l’on possède. Quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent n’a guère de mérite de faire ce qu’il croit « une largesse somptueuse »: le don ne lui coûte pas grand-chose et n’a aucun effet sur son train de vie. Il ne donne que de son superflu tandis qu’un pauvre sans ressources qui donne le peu qu’il a fait preuve d’une immense générosité.
Ce n’est pas la première femme qui joue un rôle important dans la vie de Jésus. La femme qui souffrait d’hémorragie croyait qu’il suffisait de s’approcher de Jésus et de le toucher pour être guérie (5, 25) ; la Phénicienne de Tyr lui a ouvert la route des païens (7, 28) ; bientôt une pécheresse, affrontant le mépris général, achètera un parfum de grand prix pour le oindre (14, 3) ; Marie Madeleine et ses compagnes auront le courage de le suivre jusqu’à la croix et d’assister à son ensevelissement (15, 40-47) ; elles seront donc les premières annonciatrices de la Résurrection. Toutes ces femmes en remontrent même aux Apôtres !
La pauvre veuve qui donne tout ce qu’elle a encourage Jésus à aller encore beaucoup plus loin et à donner ce qu’il est. Non de l’argent mais sa vie. Trois jours plus tard en effet, le don total de lui-même sur la croix permettra de commencer la fondation du Nouveau Temple : son Corps qui est l’Eglise.