L’évangile de ce jour pourrait se résumer par cet adage : « le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien ». Voilà, tout a été dit et vous auriez avoir pu entendre l’homélie la plus courte de votre vie. Mais comme je suis un frère dominicain, je ne peux me contenter d’une prédication aussi brève. Vous devrez donc une fois encore vous farcir mes propos. J’en suis bien désolé. En fait, pour être tout à fait honnête, pas tant que cela.
Reprenons l’adage : « le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien ». Le bruit qui ne fait pas de bien est celui représenté dans l’attitude des scribes de l’évangile. Jésus dénonce ici ce besoin de se mettre en avant, cette quête incessante de la première place. Pire cette ostentation ne se complait pas en elle-même. Elle est devenue un moyen pour pouvoir écraser les personnes les plus fragilisées par la vie et qui avaient déjà tout perdu. Lorsque le « m’as-tu-visme » est porté à son paroxysme, il peut aller jusqu’à nier les droits les plus fondamentaux des autres. Le « m’as-tu-visme » conduit à utiliser les autres pour grandir soi-même. L’autre n’existe plus comme une personne mais juste comme un objet que je peux utiliser pour grandir plus encore à mes propres yeux. En ce sens, il y a lieu de toujours dénoncer toute forme de « m’as-tu-visme » car elle est par essence contraire à ce que Dieu attend de chacune et chacun de nous. Selon les lectures de ce jour, par les exemples de la veuve de Sarepta et de la pauvre veuve de l’évangile, notre Dieu préfère la première partie de l’adage : « le bien ne fait pas de bruit ». C’est ce bien qui est vécu de manière discrète et vraie. Le bien qui ne fait pas de bruit est ce bien empreint d’une qualité précise : celle du dépouillement. Dieu ne se contente pas du superflu. La qualité de notre don ne peut en aucune manière appartenir à notre trop-plein, à notre excédent. Notre don s’inscrit dans notre tout. Un tout capable de se dépouiller de tout ce que nous estimons nécessaire pour pouvoir l’offrir. Comment le savoir si notre don est un dépouillement ? Peut-être en acceptant cette idée que tout don coûte. Il ne s’agit pas d’abord d’un montant. En effet, dépenser dix euros pour quelqu’un que nous aimons nous semblera moins coûteux que de devoir mettre deux euros dans une cagnotte pour offrir un cadeau à quelqu’un avec lequel nous nous sentons nettement moins en sympathie. Le dépouillement n’est pas d’ordre quantitatif mais qualitatif. En effet, le véritable dépouillement nous coûte car nous avons accepté de donner de notre temps, de partager ce qui nous est le plus cher, d’offrir ce à quoi nous tenons, d’octroyer ce que nous sommes. A l’instar de ces deux veuves, nous sommes à notre tour invités à entrer en toute confiance dans ce chemin de dépouillement. Se dépouiller, ce n’est pas tant chercher à s’appauvrir. Se dépouiller, c’est plutôt chercher à inscrire une dimension de qualité dans tout ce que nous offrons. Ce qui importe alors, c’est l’intention que nous avons mis dans notre geste ou pour le dire encore autrement, c’est la manière dont il dit quelque chose de notre cœur. Dieu regarde le cœur de l’être humain. Et c’est justement parce que notre dépouillement s’enracine dans notre cœur qu’il prend tout son sens. Dans toutes nos relations, qu’elles soient avec les autres ou avec le Tout-Autre, nous sommes invités à nous dépouiller afin d’arriver à donner le tout de nous-mêmes. Toute rencontre vécue en vérité passe par un tel dépouillement lorsque nous sommes capables de mettre nos masques au placard, lorsque nous osons la confiance d’une rencontre en vérité, lorsque nous partageons nos fragilités constitutives de notre humanité. Par définition, nous sommes des êtres relationnels, nés d’une relation et nourris par toutes celles que nous créons tout au long de nos vies. Ces relations prennent tout leur sens lorsque nous sommes à même de nous dépouiller de tout ce qui nous encombre, de tout notre superflu pour pouvoir offrir le tout de notre être. Deux être dépouillés vivent alors une relation en vérité. Et il en va de même avec Dieu. Comme le dit Maître Eeckart, mystique dominicain, c’est lorsque nous avons dépouillé Dieu de tout ce dont nous l’avons affublé et lorsque nous nous sommes dépouillés de toutes nos protections, que nous sommes à même de vivre une relation privilégiée en toute intimité avec le Père dans le Fils et par l’Esprit. Donnons Lui alors qui nous sommes tout en discrétion car le bien ne fait pas de bruit.
Amen