Lorsque deux bébés sont mis dans une pièce avec deux objets identiques, plusieurs scénarios peuvent être envisagés. Il y a d'abord le bébé capitaliste qui va prendre les deux objets pour lui. Il y a le bébé baptisé qui va d'abord donner un objet à son compagnon de jeu puis prendre le sien. Il y a le bébé canonisé qui va donner les deux objets et se réjouir du bonheur de l'autre. Il y a le bébé blasé qui dédaigne les objets et espèrent en avoir de plus beaux. Il y a également le bébé qui se dirige vers un objet et l'autre vient le rejoindre et ils se disputent tous les deux le même objet. C'est cette hypothèse qui se réalise toujours d'après l'anthropologue René Girard. Lorsqu'un être convoite un objet, l'autre veut le même. Un objet prend toujours de la valeur lorsqu'il sort de l'indifférence. Il suffise que je porte mon regard sur la chose pour que d'autres regardent ce même objet mais autrement. Le phénomène de la mode fonctionne sur ce principe. Et il en va de même dans la vie.
Trop souvent nous passons du temps à envier, à désirer, voire à convoiter les talents des autres plutôt que de chercher à faire fructifier les nôtres. Nous aimerions tant avoir leurs talents et nous oublions le fait que nous en avons que d'autres n'ont pas reçu. « A chacun selon ses capacités », nous dit le Christ. Ces talents sont précieux. Ils sont ce qui fait la singularité de nos personnes et ils nous offrent ainsi l'occasion de toujours partir à la rencontre du prochain afin de s'enrichir de nos différences respectives. Ne jalousons pas ce que les autres ont reçu mais réjouissons-nous plutôt de ce que nous avons en propre. Tout être humain est doué de talent. A nous de prendre le temps de les découvrir et de les faire fructifier non pas pour satisfaire notre ego mais pour construire ensemble un monde aux couleurs de Dieu. Un monde où chacune et chacun apportent sa propre pierre à l'édifice de la Vie. Pourquoi ? Tout simplement parce que dans l'Esprit, le Père et le Fils nous ont donné un merveilleux cadeau : la liberté. Le Père a créé notre monde puis il s'en est allé comme l'homme de l'évangile qui part en voyage. Le Fils est venu en notre monde pour nous montrer le chemin qui conduit à la Vie puis il s'est retiré dans l'événement de l'Ascension. Et pourtant, nous ne sommes pas seuls puisque l'Esprit de Dieu nous accompagne sur la route de notre aventure humaine. Dieu continue d'être à nos côtés. Il ne nous a pas abandonné mais il nous a offert cette liberté si chère pour que nous puissions à notre tour être des cocréateurs de sa Création. Comme le disait un théologien belge, Dieu nous a donné un mandat, c'est pourquoi nous sommes toutes et tous lieutenants de Dieu sur terre, c'est-à-dire tenant lieu de Dieu sur terre. L'Esprit Saint passe par chacune et chacun de nous. Ne le cherchons pas dans le Ciel. Le Ciel est en nous. Non pas un Ciel qui convie à l'inertie, à la peur, à l'instar du troisième serviteur qui va enfouir ce qu'il a reçu. Le Père nous veut libre et notre liberté ne se vit que lorsque nous agissons. Comme j'aime le souligner la liberté n'est pas faire ce que l'on veut mais plutôt vouloir ce que l'on fait. Il y va de notre responsabilité personnelle. Dieu a besoin de nous pour que nous participions à son ½uvre divine. Il nous a doté de talents qui vont nous permettre à notre tour d'être ces artistes qui vont chercher à embellir le monde et à la rendre plus juste et plus fraternel. Notre liberté est donc bien agissante par définition. Elle se vit dans les choix que nous posons. Elle se réalise dans les actions que nous menons. Il est vrai que la liberté peut parfois nous donner le vertige car elle est invitation incessante à opérer en nous ce déplacement nécessaire pour ne jamais nous enfermer. Que nous le voulions ou non, l'exercice de la liberté n'est jamais de tout repos. Notre liberté est en mouvement. Elle trouve son fondement dans la richesse des êtres que nous sommes même si nous avançons à tâtons, avec nos failles. Voilà le sens même de ces talents reçus. Ils ne sont pas pour nous mais ils nous ont été donné pour qu'à notre tour nous les fassions fructifier en les partageant avec celles et ceux de qui nous nous faisons proches. Par nos talents, nous devenons des semeurs de vie, des semeurs d'espérance. Notre tâche est de semer, toujours semer sans jamais s'arrêter. De temps à autre, nous aurons la chance de récolter ce que nous avons semé mais dans la majorité des cas d'autres moissonnerons ce que nous avons semé tout comme nous récoltons ce que d'autres ont semé pour nous. En ce sens la multiplicité des talents dont nous disposons et qui se conjuguent au pluriel de nos relations sont la richesse humaine de ce que Dieu nous a offert. Nos talents participent de la sorte encore et toujours à la construction du Royaume de Dieu.
Amen