Mes amis, permettez-moi, d'entrée de jeu, de vous annoncer une bonne nouvelle : vous êtes riches et vous êtes doués. Oh bien sûr, vous allez commencer à vous comparer et remarquer que certains sont plus riches encore et, sur certains points, plus doués. Mais si vous regardez un peu plus loin, sur d'autres continents, ou bien si vous regardez avant votre génération, vous verrez que rares sont ceux qui bénéficient de telles facilités. Dans les siècles passés, même les plus riches n'ont jamais bénéficié d'un pareil confort. Personne n'a bénéficié de pareilles distractions. Personne n'a jamais été aussi bien soigné, aussi bien enseigné. Vous en savez davantage que le plus grand savant, il y a trois cent ans et vous avez probablement plus voyagé que lui.
Oublions donc les comparaisons et reconnaissons avec joie la richesse et la variété des dons que nous avons reçus, en considérant par exemple les dons les plus merveilleux, que nul ne peut surestimer, que sont la paix, la santé ou l'amitié. Et, s'il est bon de recevoir, il est meilleur encore de cultiver, de développer les talents dont nous avons hérité.
Vous savez qu'à la cathédrale s'achève cette semaine une exposition d'art contemporain, « septiformis », organisée par notre frère Alain en hommage au cardinal Daneels. C'est pour moi l'occasion de vous raconter la parabole à ma manière, avec les catégories artistiques.
Imaginez à Bruxelles trois artistes, trois artistes différemment doués, trois artistes contemporains. Le premier a reçu beaucoup de talents. Le second en a reçu aussi quelques uns et se débrouille bien. Le troisième a reçu un don particulier mais n'en a rien fait.
C'est le cas du dernier qui est le plus intéressant. C'est peut être vous, c'est peut-être moi. Il ne doute pas de son talent mais ne le met jamais en application. Prenons des exemples : son talent est-il de chanter ? Eh bien il reste muet, pour ne pas s'abîmer la voix. Son talent est-il d'écrire ? Il n'écrit jamais rien pour ne pas fatiguer son inspiration. Son talent est-il de peindre ? Il craint trop de s'enfermer dans un style particulier. Ce qu'il a reçu, il le garde jalousement, sans jamais y toucher.
Que se passe-t-il ? Vous pouvez le deviner ! Les deux premiers artistes progressent et leur génie ne cesse de se confirmer. Le dernier, lui, reste toujours aussi méconnu car, pour former un véritable artiste, il faut un peu de talent, c'est sûr, mais surtout la passion d'un travail acharné.
Cette application à la vie des artistes me permet de comprendre la parole un peu choquante de Jésus suivant laquelle celui qui a, développe plus encore, mais celui qui n'a pas, perd même l'illusion de ce qu'il croyait avoir.
*** Maintenant permettez-moi non pas une lecture moralisante mais une lecture théologique de la parabole car lorsque Jésus nous raconte des histoires, il nous parle aussi de lui.
Je me demande si Dieu n'est pas le premier artiste et nous ses chefs-d'½uvre inachevés. Pourquoi « inachevés » ? Parce que Dieu déborde d'inspiration mais il ne va pas au-delà des esquisses, des ébauches, des premiers traits. A partir d'un certain moment, il se retient.
Comprenez bien : on ne peut pas créer des artistes comme on fabrique des robots. On ne peut pas créer des créateurs On ne peut pas créer des dieux. Alors il en fait le moins possible et il faut écouter sa musique dans les silences, lire sa peinture dans les blancs, comprendre son écriture entre les lignes. Son art est d'éveiller à la liberté et à la responsabilité. Ses absences signifient : « à vous de jouer » !
Sa discrétion, que nous percevons souvent comme une faiblesse ou une démission, nous permet d'exister dans l'autonomie. Il nous laisse inventer du neuf et qui soit tout entier de nous. Le don qu'il nous donne, c'est de pouvoir donner. Mais ce don là, comme tous les autres dons, il faut le recevoir vraiment.
Ce cadeau, comme pour tous les cadeaux, il faut en enlever les papiers dorés, ouvrir la boite, et se l'approprier. Ce qui est donné est donné, c'est pour nous. Ce que nous avons produit ne nous sera pas enlevé, tout au contraire, nous recevrons plus encore. Mais celui qui enterre son talent, pour le conserver tel quel sans y toucher, n'a rien compris. Il n'a pas reçu le don. Il ne sait pas recevoir ni assimiler. Ce qu'il a reçu, il le vomit sans se l'approprier. Il n'entre pas dans l'échange et n'a rien compris. Ne soyons pas fermés comme lui.
Pour terminer, permettez-moi de poursuivre mon application de la parabole à cette ½uvre d'art collective que nous sommes tous ensemble. Si l'Eglise conservait la foi intégristement, comme un « dépôt révélé », sacro-saint et extérieur à elle. Si elle enterrait le don reçu pour le laisser tel quel sans y toucher, en araméen, grec ou hébreu. Si elle ne le faisait pas fructifier en le mettant au contact de notre vie, de notre culture et des grandes interrogations du temps, alors, un jour, cela nous serait retiré comme un don artistique que nous n'aurions pas pratiqué, comme une créativité que nous n'aurions pas exercée, comme une chance que nous n'aurions pas su accueillir, comme un amour que nous n'aurions pas compris ni vécu.
La parabole ne doit pas nous terroriser mais nous aider à comprendre que ce qui nous est donné, n'est pas seulement déposé, ni prêté mais nous appartient vraiment. Il est trop facile de penser qu'il suffit de tout laisser en l'état présent. Nous sommes appelés à prendre des initiatives à la mesure de ce qui nous est donné pour le faire fructifier. Pour cela l'Esprit Saint nous est offert sans aucune limitation. « Demandez et vous recevrez » !
Bonne nouvelle mes amis : vous êtes riches, vous êtes doués et Dieu vous appelle à le devenir plus encore !