Nous arrivons aujourd'hui à ce que tous les commentateurs considèrent comme le centre de l'Evangile de Marc. On ne sait depuis combien de temps Jésus a débuté sa mission mais, par une succession rapide de scènes très vivantes, l'évangéliste nous a montré les diverses réactions auxquelles Jésus se heurtait.
Le peuple est intrigué par cet ancien charpentier qui prêche avec une totale autorité mais il demeure surtout demandeur de guérisons et de bienfaits. Sa famille elle-même est épouvantée et tente de récupérer ce membre qui semble avoir perdu la tête. Son village de Nazareth l'écoute prêcher mais ne parvient pas à croire en lui. Les pharisiens qui ont surmultiplié les observances pour préserver la pureté de la foi sont profondément scandalisés par ses déclarations et son comportement. Enfin même les Douze, ces quelques hommes qu'il a choisis et qui partagent toute sa vie, sont perplexes, ils ne comprennent pas. Cependant ils demeurent avec leur Maître.
Il faut aussi noter que, ces derniers temps, Jésus a franchi les frontières de sa Galilée et a rencontré des païens. Aujourd'hui on le voit monter au nord du lac de Galilée, là où jaillissent les sources du Jourdain et où se construit une nouvelle ville consacrée à l'empereur : Césarée-de-Philippe
Jésus demeure une énigme et partout on s'interroge : QUI EST CET HOMME ?
Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages situés dans la région de Césarée-de-Philippe.
Chemin faisant, il les interrogeait : « Pour les gens, qui suis-je ? ». Ils répondirent : « Jean-Baptiste ; pour d'autres, Elie ; pour d'autres, un des prophètes ».
Il les interrogeait de nouveau : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
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Aujourd'hui, 20 siècles plus tard, la question Jésus demeure. Rares sont ceux qui nient son existence et le considèrent comme un mythe; beaucoup reconnaissent en lui une sorte de prophète, une personnalité d'envergure qui, comme Confucius ou Bouddha, a proposé à l'humanité un message élevé de justice et de paix. Mais on ne peut à son sujet se contenter de rapporter des opinions ou des rumeurs : chacun, devant Jésus, doit se prononcer de façon personnelle : QUI DIS-TU QUE JESUS EST ? Ne réponds pas : « Ma mère était chrétienne...Je suis baptisé, j'ai suivi le catéchisme...Je crois que le monde ne s'est pas fait tout seul et qu'il y a quelque chose après la mort... ». Il ne t'est pas demandé de colporter des rumeurs, ni de dire ce que tu as cru jadis, ni d'ânonner une leçon, ni de garder secrète ton opinion.
Jésus ne peut être le seul personnage de l'histoire dont on ne peut dire QUI il est !
Pierre prend la parole et répond : « Tu es le Messie ».
Il leur défendit alors vivement de parler de lui à personne.
Après des mois de compagnonnage, d'écoute, de questionnements, Pierre, au nom des Douze, exprime sa conviction : Tu n'es pas qu'un maître ou un prophète, tu es différent de Jean-Baptiste : tu es le Messie - ce personnage mystérieux promis dans les Ecritures pour mener à terme le Plan de Dieu.
Bonne réponse - mais grevée d'ambigüités car, sous l'occupation étrangère, le peuple attendait un Messie-Chef qui apporterait indépendance, bonheur et santé et qui châtierait les nations païennes. Or il ne s'agit pas de cela. C'est pourquoi à nouveau Jésus intime une sévère consigne de silence.
Là-dessus tout à coup éclate, comme le tonnerre, une prodigieuse annonce :
Et pour la première fois, il leur enseigna qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu'il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite.
Jésus disait cela ouvertement.
Jésus ne reprend pas le mot « Messie »- à connotation trop politique et militariste - mais, comme souvent, il s'attribue ce titre de Fils de l'Homme, ce très mystérieux personnage humain à qui Dieu doit remettre la royauté universelle et perpétuelle ( Daniel 7). Mais, au lieu de gloire, ce Fils va connaître la souffrance et la mort. Et quelle mort !: condamné par les plus hautes autorités religieuses de son peuple !
« Il faut » : cela ne signifie pas une fatalité inéluctable. Comme souvent dans les Ecritures, on veut dire que l'événement annoncé correspond au projet de Dieu.
Non que Dieu veuille la mort de son Fils bien-aimé. Jésus a décidé de monter dans la capitale pour y poursuivre sa mission : annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu qui vient avec lui. Cette proclamation l'obligera à dénoncer les dérives d'un culte superficiel et l'hypocrisie de beaucoup de dirigeants - ce qui ne pourra que susciter leur hostilité et leur haine. L'issue ne pourra donc être autre que la condamnation et la mort de Jésus. Mais ce qui paraîtra son échec définitif sera au contraire sa victoire : son Père lui rendra la vie ! Et ainsi surgira le Royaume éternel du Fils de l'Homme glorieux.
Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.
Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre :
« Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes ».
Un Messie qui est écrasé ! Et par les autorités du temple ! Pierre se révulse devant cette éventualité absurde ! Et le voilà qui réprimande son maître ! Aussitôt il se fait sèchement remettre à sa place : refuser la croix c'est devenir « satan ». Vouloir la réussite terrestre et la gloire, refuser d'aimer jusqu'à en mourir, c'est proprement satanique, c'est s'opposer à Dieu, c'est destructeur !
Hélas, que de fois dans son histoire, l'Eglise a cherché les honneurs et le faste ! Que de successeurs de Pierre avides de splendeur et de pouvoir ! Quel aveuglement de vouloir le Royaume sans détresse, sans souffrance, sans échec !
Mais ce n'est pas tout ! La suite nous frappe le c½ur et nous fait trembler de peur :
Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l'Evangile la sauvera ».
Déclaration capitale, tournant aussi de notre existence chrétienne ! Chaque terme est à méditer.
LA CROIX NECESSAIRE : Jésus n'est donc pas un messie qui réalise la libération et l'offre à des amis qui se contentent de prier puis de recevoir béatement une ½uvre tout accomplie. Nous ne resterons chrétiens que si nous acceptons de le suivre sur ce même chemin.
« LA FOULE ET LES DISCIPLES... » : Il n'y a pas que le pape et les apôtres qui doivent entendre cette leçon : tout homme est concerné.
« SI... » : L'option est dure, très difficile, angoissante : elle ne peut donc être imposée. C'est à chacun de réfléchir et de se décider librement. Seul contre tous s'il le faut.
« RENONCER A SOI » : il ne s'agit pas de se détester, de se dévaloriser, de renoncer à toute créativité, mais de cesser d'en faire à notre tête, de courir après la possession et la renommée, de vouloir à tout prix réaliser nos projets.
« ET PRENDRE SA CROIX » : Le condamné à la crucifixion, comme Jésus le sera, devait porter lui-même l'instrument de son supplice. Donc l'expression ne signifie pas d'abord subir les accidents de la vie ni encore moins s'infliger des souffrances, mais parler et agir de sorte que l'on est jugé et condamné.
« ME SUIVRE » : l'enseignement ne porte pas sur une décision morale. Le côté négatif n'est que conséquence de l'option positive : il s'agit de vouloir suivre le Christ, de prendre son chemin parce qu'il est le sien, de porter l'opprobre parce qu'elle est la sienne. Aimer avant d'obéir. Obéir pour aimer encore.
« CAR CELUI QUI... » : le réflexe biologique (« sauver sa peau », éviter mal et mort) conduit l'homme à sa perte. Aimer le Christ même s'il faut y perdre la vie est SALUT, LIBERATION, DELIVRANCE, VRAIE VIE.
Jésus n'attend pas les réponses : il se retourne et prend sa route. Vers le Père par la croix. Vers la Vie par la mort. Il sait qu'alors son annonce du Royaume, la Bonne Nouvelle, se réalisera.
Avouons-le : notre instinct de vie se crispe devant de telles exigences : comme Pierre, nous avons envie de crier : « Pas comme cela ! ...Pas jusque là... ! Autrement s'il vous plaît ! ...».
Non, il n'y a pas d'autre chemin.