Vivre la confiance dans des temps obscurs
On dirait qu’en ces jours, le temps s’est arrêté. Une violence inouïe a déchiré quelques quartiers de Paris ( 13 Novembre 2015 ) – et au delà de ces lieux, ces évènements bouleversent et troublent nos pensées, nos âmes et notre espoir d’un monde meilleur.
C’est comme si le chapitre 13 de Saint Marc qui annonce la fin du temple, la fin du monde et le retour final du Christ, se déroule devant nos yeux.
Et pourtant non ! Combien de fois déjà dans notre histoire avons-nous vécu ce soi-disant “fin du temps”. Sans bagatelliser aucun évènement de violence, notre indignation se souvient malheureusement des grandes guerres, des désastres naturels, des famines, des déportations massives, des dictatures, des émeutes sanglantes, des oppressions, parsemés dans notre mémoire contemporaine. Oui, combien de fois, l’histoire s’est-elle arrêtée au point de bousculer les esprits des âmes justes ?
L’évangile d’aujourd’hui, ce fameux chapitre 13 de Marc qui fait le lien, non sans raison, entre la ‘purification du temple’ et le récit de la passion du Christ en annonçant le ‘dévoilement ou le dénuement final ( άποκαλύπτειν = l’apocalypse) me pose aujourd’hui – suite aux évènements meurtriers à Paris - la question suivante : “Comment vivre la confiance en l’homme et en Dieu, dans des temps obscurs ? Comme faire confiance dans l’autre, si l’ennemie déguisé peut se trouver devant nos portes ? Comment vivre en Dieu, s’il semble absent, silencieux, oublié ou carrément nié ? “
La question est récurrente. Il n’est pas difficile de s’adonner en confiance à l’autre et à Dieu, si tout va bien. Il n’est pas difficile de célébrer l’eucharistie – rendre grâce – si la vie nous sourit, si le bonheur fleurit et le salut semble assuré. Par contre, la foi chrétienne, c’est à dire, la confiance en Dieu et en l’homme est mise à l’épreuve et se tient debout ou tombe face aux moments précaires. La foi chrétienne, c’est à dire la confiance dans l’homme, l’espérance du salut et l’expérience de la résurrection n’est jamais acquise une fois pour toujours et elle retint continuellement dans les écritures comme un questionnement, parfois comme une incertitude et aussi comme un doute. Souvenons-nous seulement de ces paroles qui sortent de la bouche d’une âme profondément délaissée : “Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ” – expression ultime du presque-désespoir dans la bouche… du Christ … à la croix, au moment de dépérir. Si donc Lui déjà… , comment pas nous !
Peu de temps avant l’annonce des désastres dans ce chapitre 13 de Marc, les disciples et Jésus se trouvent dans les collines aux abords de Jérusalem. Ils se sont assis. Se reposant ils admirent dans le lointain la splendeur de la ville et le temple brillant dans le soleil. “ Oh ! Quelles pierres, quelle grandeur”. Honnête émerveillement des disciples. Tandis que la réponse ou la réaction de Jésus est plutôt une vraie douche froide : “aucune pierre ne restera sur l’autre”. C’est ainsi qu’on annonce la destruction, que l’on brise les rêves. La beauté de la création, celle du travail des hommes à la gloire de Dieu et de l’humanité, est dorénavant déclarée éphémère.
Face au rêve d’un paradis terrestre, d’un temple sacré, d’un refuge sécurisante, Jésus met l’homme à nu et à l’épreuve. Sa réaction est au fond une interrogation que je formulerais ainsi : “Votre confiance, peut-elle tenir, face à la finitude du monde ?” – Et par extension : “face à tout anéantissement” ?
La question n’est pas – et Jésus l’écarte avec fermeté – “ Quand la fin se présentera-t-elle ? “ La question finale ou ultime est celle qui scrute le cœur humain : “Pouvez-vous vivre en confiance, dans la nuit obscure ?” (dans Gethsémani)
C’est ce défi que Job doit traverser et que creuse Dietrich Bonhoeffer dans sa cellule. C’est ce qui réduit au silence le parent au chevet de son enfant, et ce qui désarme l’homme droit face aux interminables injustices. Si la colère, l’impuissance, la tristesse, l’indignation peuvent à juste titre prendre de dessus aux moments cruels où la mort se déchaine ( comme à Paris, aux Twin Towers à New York, aux villes dévastées en Syrie et ailleurs,) il faut qu’après, le lendemain pour ainsi dire, l’homme se redresse et essaie de vivre, de retrouver la confiance.
Vivre en confiance n’est pas évident. Elle ne tombe pas du ciel. Elle est à construire avec de l’intelligence, avec du sens critique, de la connaissance des choses et des humains. Elle nécessite le dialogue et des négociations. Elle a besoin de distance, de résistance et de courage. Elle a besoin d’imagination, de créativité et parfois de beaucoup de patience avant qu’elle ne devienne finalement : désir, quiétude et repos dans l’autre / l’Autre.
Face à l’anéantissement du monde, Jésus fait appel à la difficile liberté et aux conséquences invraisemblables de l’évangile qui consistent à accepter que celui qui se confie à Dieu et à son prochain, risque sa vie. C’est balancer aux bords d’une falaise.
Le défi est désormais de nourrir, d’éduquer la soif du bien, malgré toute apparence contraire. Vivre le risque de l’évangile, c’est faire l’expérience de foi que toute personne peut devenir “vrai”, “juste”, “bon” - enfant de Dieu - et que moi, toi, nous sommes les co-auteurs de ce processus de l’amour de Dieu, capable d’induire cette bonté dans l’autre et capable de changer le visage du monde, ou au moins de l’espérer sans cesse.
Aimer son amant, un partenaire, un ami, ceux qui nous comblent de bien n’a rien d’extraordinaire. Mais c’est l’indispensable atelier où l’on apprend à aimer ceux et celles qui doivent devenir aimables et qui le deviendront suite à l’amour qu’ils reçoivent.
L’annonce d’une bonne nouvelle change le cœur de l’homme. Le temple tombe pour faire place au Verbe, à la Parole qui n’a pas besoin de pierres car elle vient m’habiter, purifie les méandres du cœur et sème l’espérance.
Regardez le figuier. Ses branches deviennent tendres. Les bourgeons annoncent le printemps et le soleil, inlassablement chaque année.
En ces jours où nous célébrons dans notre pays l’armistice ( 11 Novembre), signe et mémoire tangible d’espérance, gardons en nos cœurs et dans nos actes la Paix et la vigilance pour la conversion des cœurs et esprits.