L’Evangile d’aujourd’hui paraît choquant et révoltant. Voilà que le plus petit, celui qui a le moins de chance et de possibilité paraît être puni et sanctionné. Il avait peur, le pauvre petit. Et on le comprend, sans grand moyen, dans ce monde agressif et violent, il n’a pas osé. Comment ne pas comprendre une telle attitude devant la complexité du monde dans lequel on vit et les exigences que l’on nous impose ?
Mais ce qui paraît le plus étonnant encore, c’est ce que ce petit dernier ose dire au maître de maison : « tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain ». Bref, « tu es un profiteur, un exploiteur ». Et le plus étonnant, c’et que le maître est d’accord. Il répond à ce petit serviteur : « tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu ». Vous imaginez un ouvrier dire ça à un patron, ou un religieux dire ça à son supérieur !
Et il n’a pas tort, ce pauvre petit serviteur. Regardez cette église : ce sont des ouvriers qui l’ont bâtie, ce sont des architectes et des entrepreneurs qui en ont fait les plans et qui l’ont réalisée, ce sont des gens qui ont économisé et qui ont apporté l’argent pour pouvoir la construire. Il n’y a pas de mal de choses que nous avons faites, et qui ne sont pas nécessairement des chefs-d’œuvre, mais, quand même, dont nous pouvons être fiers et qu’il ne faut pas nous enlever.
Mais justement, c’est là toute la différence : ce chef de maison, ce n’est pas d’un homme dont nous parlons, c’est de Dieu lui-même. Prenons un simple exemple : quel est dans l’Ancien Testament celui qui a accompli de grandes choses et qui est pourtant un modèle d’humilité ? C’est le roi David. C’est un homme qui a accompli de grandes choses et qui a bouleversé l’histoire d’Israël. Il a pris le pouvoir contre le roi Saül, il a rassemblé les douze tribus de Juda et d’Israël (et on sait comme c’est difficile d’unir des tribus différentes), il a fondé et créé une nouvelle capitale, Jérusalem. Mais il s’est laissé emporter par sa gloire et l’illusion du pouvoir : il a commis l’adultère avec Bethsabée, et il a fait tuer son ami, Uri, pour cacher sa faute. Mais le prophète Nathan lui a ouvert les yeux et il a reconnu sa faute. C’est cela, le plus important : reconnaître honnêtement qui nous sommes et ce que nous devons à Dieu. C’était sans doute cela la grande faute de la tour de Babel : les hommes croyaient être capables de remplacer Dieu dans le ciel. Et nous voyons cela partout dans notre vie : les hommes croient être tout-puissants et nous sommes capables de détruire la terre à coup de bombes nucléaires. Nous croyons pouvoir utiliser les réserves de la nature comme nous le voulons et autant que nous le voulons, et nous allons épuiser la terre au point de la rendre bientôt inhabitable.
Ce que nous avons, ce que nous possédons, nous l’avons reçu et nous en sommes responsables. C’est ce que le pape a très bien mis en lumière dans son encyclique Laudato si : exploiter l’homme et exploiter la nature, c’est mépriser Dieu son créateur. L’homme et la nature ne sont pas des biens que nous pouvons utiliser et exploiter comme nous le voulons, mais ce sont des cadeaux, et nous sommes responsables de la bonne gestion de tout cela.
Voilà pourquoi les bons serviteurs viennent remettre le fruit de leur labeur à leur maître lorsque celui-ci revient de son voyage. Mais alors, me direz-vous, quel plaisir, quel bonheur avons-nous à travailler si tout cela revient encore et toujours à Dieu ? Le vrai plaisir et le vrai bonheur que nous aurons et que nous avons dès maintenant, c’est d’être avec lui et d’être auprès de lui grâce au service que nous lui rendons. C’est ce que Mère Teresa et Sœur Emmanuelle ont fait. Elles n’ont pas songé à leur petit confort personnel, immédiat. Elles sont allées vers les plus pauvres et les plus démunis, et elle ont changé leur vie, non seulement la vie des pauvres de Calcutta et de la ville du Caire, mais aussi leur propre vie.
Car le pauvre petit serviteur n’avait qu’un seul talent, c’était celui d’aimer, et nous l’avons tous, ce talent, et c’est ce talent que nous avons tous le devoir de faire fructifier.