En ce dernier dimanche de l'année liturgique, l'Eglise contemple la fin de l'histoire. Nul ne peut en préciser la date. Elle ne sera pas essentiellement désintégration ultime, anéantissement de tout mais Epiphanie du CHRIST ROI. Si aujourd'hui ce titre n'a plus guère de signification qu'honorifique, réalisons néanmoins l'énormité de cette affirmation ! En lisant et en proclamant l'Evangile du jour, nous osons annoncer qu'un certain juif de Galilée, appelé Jésus, condamné à une mort ignominieuse sur le gibet de la croix, est pourtant le FILS DE L'HOMME qui est vivant, qui est SEIGNEUR et qui viendra un jour juger l'humanité tout entière. Le condamné du Golgotha sera le Juge de la planète !!
Pourquoi ? Parce que si Jésus le crucifié a été ressuscité par Dieu, si son Père l'a réhabilité, c'est donc qu'il était et demeure l'apparition suprême, la manifestation définitive de l'amour authentique et que l'amour est la seule valeur qui fait le prix d'une vie humaine. Donc c'est sa pratique - non son concept ni sa sensation - qui constitue le critère de la réussite de notre existence.
Si nous n'étions pas jugés devant cet Amour, notre condition en resterait au stade animal, biologique : nous vivrions selon la loi de la jungle où les forts, les rusés, les violents, les implacables, les chanceux, s'imposent et où les pauvres, les innocents, les faibles ne peuvent que subir leur malheur innocent et pleurer leur existence écrasée pour rien.
Le jugement final par l'amour de Dieu nous sauve du bagne des injustices, de la dictature du hasard, de l'absurdité du destin pour nous hisser au niveau de la justice et de la vérité. Le jugement donne sens à notre histoire.
TESTAMENT DE JESUS EN S. MATTHIEU
Le grand et dernier enseignement de Jésus- dont nous avons déjà entendu quelques extraits ces derniers dimanches - culmine sur cette question. Il apprend à ses disciples que, dans un monde déchiré par les guerres, en butte aux persécutions, ils devront annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations jusqu'au jour où "le Fils de l'Homme" reviendra. Ce jour étant indéfinissable, il importe de demeurer vigilant : " Veillez car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir...Tenez-vous prêts".
Trois petites paraboles ont expliqué en quoi consiste cette attitude de veille chrétienne : 24, 45-51 : Que les responsables de communautés veillent avec sollicitude sur ceux qui leur sont confiés. 25, 1-13 : Même si la nuit de la foi est épaisse et l'attente interminable, que chaque disciple maintienne allumée la flamme de l'Esprit. 25, 14-30 : Et que, sans se lasser, chacun travaille à faire fructifier les talents que son Seigneur lui a confiés.
Là-dessus, le discours atteint son sommet avec la scène solennelle du Jugement dernier : évangile de ce dimanche. (texte abrégé)
"Quand le Fils de l'homme viendra, il siègera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui : il séparera les hommes... Il dira aux uns : " Venez les bénis de mon Père, recevez le Royaume.... Car j'avais faim et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif et vous m'avez désaltéré ; j'étais nu et vous m'avez habillé ; j'étais malade et vous m'avez visité...". Les justes répondront :" Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim , avoir soif, être en prison ? ...Quand sommes-nous venus jusqu'à toi ?...". Le Roi répondra : "Amen je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait".
Et le jugement se poursuit à l'inverse par le rejet des autres qui, eux, n'ont pas nourri, désaltéré, visité...
La lampe à garder allumée, le talent à faire fructifier, c'est l'amour. Nous sommes donc mis sur terre pour aimer. L'amour n'est pas un sentiment volatil mais un engagement. Il doit s'incarner, passer aux actes.
Attention que les réalisations prodigieuses de S½ur Emmanuel ou de l'abbé Pierre ne nous écrasent par leurs dimensions et nous calfeutrent dans notre bassesse ( "Je ne suis pas capable d'un tel héroïsme !"). Il n'est nul besoin de partir au Caire ou de fonder un autre Emmaüs.
L'amour n'est pas d'abord héroïsme, actions d'éclat, réalisations spectaculaires. Il est pain rompu, invitation à la fontaine, visite désintéressée. Il est sourire, poignée de mains, coup de téléphone - pour autant que le c½ur embrase le geste.
Dans un monde où abondent les solitudes, il est présence réelle. Il n'est pas bavardage mais écoute, attention. Il est refus de l'enfermement en soi, de l'égoïsme, de l'aveuglement. Il remarque le manque de l'autre, il écoute la plainte du malheureux, il est étreint par son désarroi. Avant cela, il est "prévenance" : il anticipe la demande, il devine les appels muets, il pressent où il faut intervenir.
Il n'aime pas le prochain "pour Dieu", il n'agit pas pour une récompense. Car il ignore même QUI il a rencontré en allant vers l'affamé et le pauvre.
La morale n'est plus une obéissance à un code mais une relation interpersonnelle. Dieu ne dit plus : " As-tu observé toute ma loi ? ...Es-tu en règle ? " mais "As-tu aimé en actes ?"
C'est pourquoi le contraire de l'amour, le péché, n'est pas l'écart de conduite, l'accroc au règlement, le débordement d'une passion mais le manque d'action, l'omission, l'oubli, la paresse, la peur de sortir, la méfiance de l'inconnu, le cocoon dans son bien-être. Car il faut pouvoir accepter son propre malheur mais jamais celui de l'autre. Satisfaire mes besoins est un problème matériel ; aider l'autre est un problème spirituel.
Ainsi donc si la FOI constitue la réponse normale à la proposition de l'Evangile, pour beaucoup ( la majorité sans doute ?) le chemin vers le Dieu qu'ils ignorent sera l'émotion, la compassion, le bon coeur, le geste à l'endroit d'un inconnu. Un acte de CHARITE peut sauver une vie gâchée..
Cette scène nous défend de juger, de placer des barrières entre "bons croyants" et les autres. Personne ne peut discerner. Et elle explique peut-être la crise de notre Eglise d'Occident : nous avons mené grand train de vie et répondu si chichement aux appels de nos frères lointains, d'Irak, du Soudan, du Liban, de Haïti !! ...
Maintenant nous ne pouvons plus dire : " Je ne savais pas !" Les derniers jours de l'année nous replacent devant l'essentiel : réfléchissons pour savoir comment agir mieux en l'année qui vient.