Une femme, un puits et la soif de midi. La routine des corvées d'eau, tous les jours, plusieurs fois par jour. Une femme et un homme : la valse des partenaires, la soif de la vraie rencontre, l'émerveillement premier, la lassitude, la déception. Pourquoi est-ce raté, si souvent ? Il lui parle d'eau vive, jaillissant au c½ur. Curieux, intéressant ! Pourquoi pas, mais question pratique : avec quoi va-t-il la puiser, cette eau ? Il lui demande d'appeler son mari. Elle n'en a pas, elle n'en a plus, il y a celui qui sert de mari pour le moment, mais pas la peine de le convoquer. Cet inconnu connaît son histoire, son intimité. Il va au fond des choses, comme au fond du puits, il comprend. Etonnant. Qui est-il ? Le Messie... ? Cela pose l'éternelle question des religions. Il y en a tant. Laquelle est vraie ? Ici, ou là ? La Mecque, Rome, Bénarès ou Jérusalem ? Ni là ni ailleurs, le c½ur, l'esprit, la vérité. Les religions seraient-elles simplement un langage, une voie ? L'important serait-ce la prière et la foi ?
En attendant cet homme a toujours soif. Mais soif de quoi ?
Ce récit incroyablement dense et pertinent nous parle du désir. Du désir de la femme, du désir de l'homme, du désir de Dieu.
La Samaritaine n'a pas de nom et nous représente tous, nous tous qui ne sommes pas du peuple Juif. Nous pouvons nous reconnaître en elle, nous qui cherchons vaille que vaille notre chemin, notre bonheur, notre survie, au jour le jour, en différentes expériences, souvent répétitives et presque toujours décevantes. Elle en est à son cinquième mari, elle vit avec un sixième et Jésus semble l'intéresser qui pourrait prendre le numéro 7, chiffre parfait ! Sa recherche de partenaires est comme sa marche vers le puits, à peine abreuvée, la soif revient et cela semble sans fin.
Mais il y a quelque chose de surprenant dans la rencontre de cette heure de midi. C'est la sixième heure nous dit le texte, celle de la Passion. Le moment où Pilate dit « voici l'homme ». Peu après Jésus dira « J'ai soif ! », sur la croix du Golgotha. Il y a là quelque chose de grave, de fondamental, d'intemporel. Entre cet homme et cette femme s'accentuent les différences structurantes : homme et femme, humanité et Dieu, Juifs et Samaritains, religions concurrentes, cultures opposées. Faut-il adorer ici, ou là-bas ? Quelle est la vraie religion ? Comment se fait-il que tu n'observes pas ta propre Loi ? Juif, tu m'adresses la parole, à moi, une femme et une étrangère ? Comment peux-tu me demander à boire alors que mon seau est impur ? Autrement dit « tu n'es pas à ta place, tu sembles ailleurs, un peu perdu ».
N'a-t-elle pas raison ? Cet homme semble être au bout du rouleau, fatigué, sans repères. Il mendie un verre d'eau et fait presque pitié. Il lui fallait avoir parcouru tout ce chemin là, aux frontières de la fatigue et de la soif, aux extrêmes de la Loi, à la rencontre de l'homme et de la femme, pour que le Désir de Dieu puisse se manifester. Pour que le désir de Dieu et le désir de l'homme puissent se rencontrer. L'eau du puits bien sûr, pour la soif du corps, mais aussi l'eau vive pour le c½ur. La venue du Messie, le don de l'Esprit et la religion en toute vérité. « Je sais qu'il vient, le Messie, dit la femme qui pressent quelque chose ». « Moi, qui te parle, je le suis » avoue Jésus. Comme Dieu à Moïse « je suis celui qui suis » Ego Eimi. Tout est dit, pour la première fois. A une étrangère, une femme de surcroît.
Va-t-elle le retenir, le garder pour elle, le phagocyter ? Non, elle laisse tomber sa cruche et court en ville raconter ce qui vient de lui arriver. C'est elle, l'Eglise des non-juifs, c'est elle qui évangélise le monde grand ouvert. Pour parler de Dieu, elle parle d'elle « Il m'a dit tout ce que j'ai fait ». Pour dire sa trouvaille, elle parle de son errance. Qu'importe son passé ? Il est la Vérité, une vérité qui ne condamne pas mais qui libère. « Il m'a dit tout ce que j'ai fait et il m'a avoué son secret, il m'a dit son identité ». Rencontre de l'homme et de la femme, rencontre de Dieu et de l'humanité au c½ur de la diversité des religions ! La rencontre de la samaritaine avec le vrai Dieu ne s'est pas faite brutalement. Pas de violence ici, tout au contraire, un mendiant assoiffé, qui transgresse les règles méprisantes de sa Loi pour demander la survie et un peu d'attention. Un dévoilement réciproque des identités. Jésus ne culpabilise pas notre Samaritaine, il ne la recrute pas non plus. Il ne la baptise pas, il ne cherche pas à l'enrôler. Elle reste libre, femme, samaritaine, tout comme avant. Ce qui a changé, c'est d'avoir été touchée au c½ur, c'est à dire au plus profond de son désir, non pas pour le réprimer ni pour le juger mais tout au contraire pour l'orienter. Celui qui lui promet l'eau vive est assis au bord du puits : il a soif plus qu'elle encore et depuis beaucoup plus longtemps. Elle l'écoute, elle l'accueille, elle s'intéresse à lui.
Savons-nous partager nos manques, nos besoins, nos désirs ? Nos questions, nos déceptions ? Savons-nous écouter, regarder, patienter ? C'est au c½ur de nos rencontres que se joue l'absolu de Dieu.