34e dimanche ordinaire, année A (Christ Roi)

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2010-2011


Ce mardi 15 novembre, nous avons célébré en Belgique la fête du Roi : une fête d'origine religieuse, et qui de nos jours est doublée de célébrations laïques.  Séparation de l'église et de l'état oblige !

Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas de lier --ou non-- la monarchie à une religion ou une confession, mais notre foi à une forme de pouvoir,
de lier notre foi à l'image d'un roi ;
à la figure du Christ, qui ne s'est jamais appelé roi... 
Et avouez que ce chemin-là est bien difficile à prendre !

En effet, en célébrant le Christ-Roi, comment ne pas ressentir un certain malaise ? 
La royauté du Christ est-elle à entendre de manière 'puissante',
comme l'époque qui vit naître la fête du Christ-Roi dans les années 20 ?
Avec le titre de Roi, il est bien facile de transformer celui que nous appelons la lumière des nations en un monarque puissant, un 'Roi soleil' ? Avec cette fête, nous ne sommes pas loin d'une Eglise triomphante, militante, s'appuyant sur une puissance ou un pouvoir que le Christ n'a finalement jamais exercé.

Vous l'aurez compris... Nous célébrons aujourd'hui tout le contraire !  Nous fêtons un Roi tout à fait paradoxal, un roi qui a perdu tout pouvoir et qui n'en a jamais eu.

La royauté dans les Evangiles est celle d'un roi qui entre à Jérusalem, monté sur un âne, la monture des pauvres.  Et la puissance de son amour se manifeste dans l'impuissance d'un condamné cloué sur une croix. Vraiment, cette royauté n'est pas de ce monde ! Et on est bien loin de « place royale » !

En effet, dans toutes les monarchies du monde, la coutume veut qu'on ne « découvre pas la couronne », c'est-à-dire qu'on ne révèle pas l'opinion du roi
afin de le protéger, de le préserver, afin qu'il ne puisse être mis en défaut. 

C'est tout le contraire que nous fêtons aujourd'hui. Nous fêtons un roi, révélé, rencontré --dévoilé dans sa vulnérabilité--  parce qu'il se rencontre chez les malades, les souffrants, les démunis. La royauté du Christ se dévoile sur la croix, non dans la puissance, mais dans la vulnérabilité et dans l'échec.

Et comme si cela ne suffisait pas pour nous écarter de nos images classiques de la royauté, le royaume des évangiles est un royaume sans monarchie ! La monarchie --je ne vous apprendrai rien-- est le pouvoir non d'un seul mais en un seul. C'est le système politique où le pouvoir est symbolisé par une seule personne. 


L'Evangile que nous venons d'entendre pour cette fête nous dit tout l'inverse : « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. »
Si celui qui s'est fait le plus petit est Roi, alors les exclus, les affamés, les démunis, les malades, les souffrants sont rois également. « Au Royaume du Christ, c'est la fraternité qui prime ! » Voilà le royaume que nous partage le Christ, qui --comme le dit la lettre à Timothée-- veut nous faire régner avec lui.

Ne cherchons donc pas un royaume séparé et sacralisé, élevé au-dessus du monde, voire même en dehors du monde.
Toute rencontre avec Dieu se réalise par un engagement de fraternité dans et pour le monde, dans l'ouverture et le service, dans une relation renouée, dans un pardon accordé. Tout simplement.

Maurice Bellet, dans son minuscule traité acide de spiritualité, écrit ceci :
« J'avais faim, dit Jésus, et vous m'avez donné à manger.

Mais nous avons trouvé plus évangélique...
J'avais faim et vous m'avez dit : bienheureux les pauvres.
J'étais nu et vous m'avez dit : regardez les lis des champs.
En prison et vous m'avez dit : la vérité vous rendra libres. »

Nous ne sommes pas invités à fuir le monde ou la rencontre en la spiritualisant trop vite. Vêtir quelqu'un, lui donner à manger, c'est le rencontrer
en son lieu de faiblesse, c'est le visiter dans son manque, 
c'est le rencontrer au lieu même de son c½ur et de ses blessures,
pas à la périphérie de son être.

Le danger de cet Evangile est qu'il soit trop vite spiritualisé dans le mauvais sens du terme. Comme si nous étions invités à rencontrer les autres en tant qu'ils sont l'image du Christ. Nous sommes, tout au contraire, conviés à rencontrer notre prochain, comme prochain, c'est-à-dire comme celui dont nous voulons véritablement, gratuitement, nous faire proche.

Puissions-nous alors, en cette fête du Christ-Roi, trouver la force de gouverner nos vies non pas pour régner, mais pour faire régner un royaume de fraternité.
Alors l'amour d'un Dieu fragile,
et la tendresse d'un roi qui s'agenouille devant nous,
pourra venir illuminer nos vies. Amen.