34e dimanche ordinaire, année C (Christ Roi)

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

« FORT COMME LA MORT EST L'AMOUR »
(Cantique des Cantiques 8, 6)

Afin de choquer, bouleverser, émouvoir, la presse à sensation aurait rapporté la crucifixion de Jésus avec force détails - hurlements,  claquements de fouet, coups de marteau, giclements de sang, visages tordus de haine...Tout au contraire les évangélistes, au risque de gommer l'horreur et le paroxysme des souffrances endurées par Jésus, écrivent des récits très sobres : ainsi Luc note : « Arrivés au lieu dit du Crâne ils le  crucifièrent avec les deux malfaiteurs ».
En effet ce qu'il importe de communiquer, c'est le SENS qui a jailli de cet événement que les disciples ont d'abord vécu comme une horreur, un échec radical, une mort insensée. L'essentiel n'est pas de faire pleurer le lecteur, mais l'exhorter à CROIRE, à découvrir la lumière qui a jailli de ces ténèbres : la crucifixion de Jésus n'est rien moins que son couronnement, son intronisation comme MESSIE ROI. Après avoir été d'abord révulsé par ce fait, saint Paul écrira fièrement : « Nous prêchons un messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Cor 1, 23). Au c½ur d'une histoire qui est un gigantesque affrontement de puissances qui cherchent à régner par la force, Jésus crucifié est le vrai ROI que notre haine a écrasé mais qui nous sauve par son amour ensanglanté. La force veut sauver et elle tue ; Jésus est tué et il sauve.
En ce dernier dimanche de l'année liturgique, l'Eglise nous appelle à confesser : «  Pour moi, jamais d'autre titre de gloire que la CROIX de notre Seigneur Jésus Christ » (Gal 6, 14).  - - -   Lisons le texte du jour :

On venait de crucifier Jésus, et le peuple restait là à regarder.

Ces hommes, espèrent-ils un miracle de dernière minute, une manifestation de puissance ? Pendant les jours précédents, « le peuple, suspendu à ses lèvres, écoutait » Jésus prêchant sur l'esplanade du temple (19, 48 ; 21, 38) mais lorsque le mécanisme de l'arrestation s'est enclenché, personne n'a réagi pour défendre son innocence et rappeler ses bienfaits et ses guérisons. A présent, au Golgotha, « le peuple regarde ». Et lorsque Jésus sera mort, « les gens s'en iront en se frappant la poitrine » (23, 48) c.à.d. en montrant les premiers signes de conversion.
C'est la croix seule qui signe la vérité de la Parole et qui éveille le repentir authentique.
Mais où sont les apôtres choisis par Jésus, qui le suivaient depuis la Galilée, qui voyaient ses miracles, qui l'écoutaient, qui l'acclamaient lors de sa joyeuse entrée ? Ils ont disparu, terrés quelque part, figés de peur. Seuls, jusqu'à la fin, quelques familiers de Jésus et les femmes regardent  (23, 49).
Il en va encore ainsi de nous : le chrétien écoute l'Evangile puis il contemple longuement la croix. Alors il peut manger le Pain du Ressuscité, parler de sa foi et témoigner de la joie pascale.

Les chefs ricanaient en disant : « Il en a sauvé d'autres : qu'il se sauve lui-même, s'il est le Messie de Dieu, l'Élu ! » --  Les soldats aussi se moquaient de lui. S'approchant pour lui donner de la boisson vinaigrée, ils lui disaient : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
------ Une inscription était placée au-dessus de sa tête : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
L'un des malfaiteurs suspendus à la croix l'injuriait : « N'es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! »
Si les croyants se taisent, les ennemis, eux, se déchaînent ; comme cela est odieux de ricaner devant un homme en train de mourir ! Et comme cette dérision doit ajouter aux souffrances de Jésus ! « On dit qu'il a sauvé des malades et voilà maintenant qu'il est incapable d'échapper à son destin ! ». Or Jésus n'échappe pas à sa vocation, au contraire il l'accomplit jusqu'au bout ; il ne refuse pas la mort, il la traverse pour la vaincre. Ainsi devient-il Roi. Le psaume du juste souffrant se réalise :
« Je suis un ver, non plus un homme, injurié par les gens, rejeté par le peuple.
Tous ceux qui me voient me raillent, ils ricanent et hochent la tête :
« Tourne-toi vers Dieu : qu'il te libère, qu'il te délivre - puisqu'il l'aime ! ».
Ils m'ont percé les mains et les pieds, je peux compter tous mes os.
Des gens me voient, me regardent ; Ils se partagent mes vêtements et tirent au sort mes habits...
Mais toi, Seigneur ne sois pas loin ! A l'aide ! Fais vite !
Et tu m'as répondu ! Je redirai ton Nom à mes frères, je te louerai dans la grande assemblée »
Jésus termine sa vie comme il l'a commencée : comme cible de la triple tentation. Au désert, après son baptême, le satan lui soufflait : « S'il est vrai que tu es le Fils de Dieu, transforme les pierres en pains, jette-toi du haut du temple, conquiers le monde ». Jésus avait refusé d'utiliser sa puissance filiale à son profit et satan « s'était écarté jusqu'au moment fixé » (4, 13). Ce moment est venu de la tentation exacerbée. Mais Jésus résiste : on ne sauve pas l'humanité par des miracles qui subjuguent la liberté d'autrui mais par l'amour qui va jusqu'au bout, la mort. En refusant de descendre de la croix et en appelant les hommes à le suivre jusque là, Jésus devient la plus grande puissance pour sortir l'humanité de sa haine et de sa boue et pour la faire monter vers Dieu.
Les Romains ne comprenaient pas le mot juif de « messie » et ils l'interprétaient comme chef politique - d'où l'écriteau imposé par Pilate, et que Luc a eu soin de placer en plein milieu de son récit : Jésus est crucifié pour s'être présenté comme un révolutionnaire, un chef qui voulait rétablir l'indépendance d'Israël. Mais de fait il devient ROI de l'humanité et jusqu'à la fin des temps: vêtu de pourpre (son sang), couronné (d'épines), contemplé (par le peuple), affiché (par l'écriteau), dressé sur son trône (la croix).

LE PREMIER SAINT AU PARADIS

Mais l'autre lui fit de vifs reproches : « Tu n'as donc aucune crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c'est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n'a rien fait de mal. ».Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. »
Jésus lui répondit : « Amen, je te le déclare : aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
Les deux malfaiteurs devaient être des résistants, partisans de la lutte armée, et qu'on appellera bientôt des sicaires, des zélotes. De part et d'autre de Jésus, ils représentent les deux attitudes antagonistes devant la mort : celle de la révolte et celle de l'espérance. Le second admet son sort de combattant : ayant opté pour la violence, il est exécuté par la violence. Mais il comprend que Jésus est victime innocente de l'injustice et il semble croire qu'il est le messie, injustement mis à mort, mais qui, à la fin du monde, viendra instaurer son règne.
Non seulement Jésus confirme solennellement sa foi (« amen ... ») mais il l'assure que ce Règne messianique commence aujourd'hui. En ne voulant pas que Jésus le préserve de la mort, mais en croyant qu'il va mourir pour lui, le pauvre malfaiteur accède au bonheur éternel qu'évoquait la Bible à sa première page : ce paradis, ce jardin où l'arbre de Vie, enfin retrouvé, est l'arbre de la croix.

Qu'est « le paradis » ? Rien d'autre qu' « être avec Jésus ». Dans son discours d'adieu, Jésus consolait les siens : « Je vais vous préparer une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez  vous aussi » (Jn 14, 1-3). Quand les premiers chrétiens s'interrogeaient déjà sur le sort des défunts, Paul, dans sa première lettre, disait l'essentiel : « ...Et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur » (1 Thess 4, 17). Plus tard, dans son cachot, pressentant son exécution, il écrivait : « Pour moi, vivre c'est le Christ et mourir m'est un gain...J'ai le désir de m'en aller et d'être avec Christ » (Phil 1, 21).
Il est enfantin d'imaginer un lieu de délices : ce serait un retour au sein maternel. L'essentiel qui seul comble, c'est la communion : « être avec le Seigneur Jésus ».
Nous terminons l'année dans la joie avec cette espérance à vivre et cette foi à proclamer :
JESUS SEUL SEIGNEUR