Comme il l'avait décidé, Jésus, suivi de ses disciples, pénètre dans Jérusalem. Et d'emblée il cause un esclandre tellement grave qu'il va provoquer une hostilité qui le conduira à la mort : il chasse les marchands du temple. En fait, nous ne lisons pas aujourd'hui la version de Marc qui, comme Matthieu et Luc, situe la scène au dimanche des Rameaux mais celle de Jean qui a anticipé la scène en la remontant tout au début du ministère de Jésus parce que, pour lui, c'est dès l'origine qu'a éclaté le conflit entre Jésus et les autorités religieuses.
Le roi Hérode (mort 4 ans avant la naissance de Jésus) - despote odieux et grand bâtisseur - avait lancé un gigantesque programme de travaux de réfection du temple avec notamment une extension de la superficie de l'esplanade où se rassemblait le peuple. Les grands prêtres y avaient organisé l'installation de marchands d'animaux destinés aux sacrifices et de changeurs d'argent puisque les pèlerins devaient offrir dons et tribut en monnaie locale. Caïphe et ses collègues en retiraient de très plantureux bénéfices ! Beaucoup trouvaient cette foire inadmissible dans ce lieu sacré. Jésus a décidé de s'y attaquer - à ses risques et périls : il est toujours gravissime de s'attaquer au portefeuille des riches !!
Comme la pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem. Il trouva installés dans le temple les marchands de b½ufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du temple ainsi que leurs brebis et leurs b½ufs. Il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs et dit aux marchands de colombes : " Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la Maison de mon Père une maison de trafic".
Contrairement aux représentations de certains peintres, il ne faut pas imaginer Jésus fouettant impitoyablement des commerçants avides de profits et exploitant la piété de leurs compatriotes. En effet, on ne dit pas qu'il est en colère, il ne fouette que quelques animaux et il ne traite pas les marchands de voleurs. Comme toujours saint Jean a saisi la symbolique profonde de la scène.
L'événement survient à l'approche de la Pâque et quelques jours seulement après le baptême de Jésus dans le Jourdain : ces fêtes vont faire comprendre la signification de l'action de Jésus.
1) Dieu s'est adressé à lui comme à son "Fils bien-aimé" : il doit donc veiller à la sainteté du temple qui est bien "la Maison de son Père". En tant que Fils, il peut y entrer en maître et en chasser tout ce qui le profane.
2) Jean-Baptiste l'a désigné comme l'"agneau de Dieu qui enlève le péché du monde" : il n'est donc plus besoin de poursuivre des sacrifices d'animaux lesquels sont totalement impuissants à purifier les hommes de leurs fautes. Jésus doit être l'agneau pascal dont l'immolation permettra le véritable et définitif exode - c.à.d. le pardon définitif des péchés, donc la sortie du monde du mal pour nous permettre d'entrer dans le Royaume de Dieu.
3) L'Esprit de Dieu est descendu sur lui "tel une colombe" - donc il faut libérer les colombes prisonnières et procéder à un lâcher comme signe de l'arrivée du Dieu de la paix à Jérusalem.
4) Enfin il faut arrêter tout ce trafic d'argent qui donne l'impression d'une religion commerciale où l'on achète les bienfaits de Dieu "donnant-donnant". Voici venu le temps de la grâce gratuite : le pardon va être réalisé par la croix, l'Esprit sera communiqué, les croyants vivront la communion de vie avec Dieu. Il n'y a plus rien à payer !!
5) Il est inadmissible que le haut clergé organise un trafic pour s'engraisser et bâtir des fortunes.
6) Dès lors le temps des marchands du temple est clos - comme le prédisait un ancien Prophète :
"En ce jour-là... le Seigneur se montrera le roi de toute la terre.....Il n'y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur en ce Jour-là" ( Zacharie 14, 21).
LE NOUVEAU TEMPLE
L'intrusion de Jésus provoque l'effervescence. De quel droit cet inconnu de Galilée se permet-il de jeter une telle pagaille ? Entend-il réaliser cette prophétie ? On se rassemble autour de Jésus afin qu'il justifie son action :
Les Juifs l'interpellent : " Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ?". Jésus leur répond : " Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai". Ils répliquent : " Il a fallu 46 ans pour bâtir ce temple et toi, en trois jours, tu le relèverais ?!?...".
On comprend la stupéfaction de ces hommes : cette déclaration de Jésus semble aberrante, elle n'est compréhensible pour personne, pas même les disciples. Néanmoins Jésus n'explique rien, la scène se termine sur cette énigme.
Mais S. Jean, quelques années plus tard, peut en donner le sens profond :
Mais le temple dont il parlait, c'était son corps ! Aussi quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela : ils crurent aux prophéties de l'Ecriture et à la parole que Jésus avait dite.
Voici un thème très important : la mémoire. Beaucoup d'actes et d'enseignements de Jésus sont, sur le moment même, demeurés opaques, obscurs Ce qu'il faisait et disait était tellement éloigné des conceptions partagées par le peuple qu'on n'en voyait pas le sens. Mais plus tard, quand Jésus mort en croix fut ressuscité, l'Esprit-Saint illumina les disciples et leur fit saisir la signification extraordinaire de ce qu'ils avaient vécu et entendu sans comprendre. Jésus l'avait promis :" "L'esprit-Saint que le Père enverra en mon Nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit" ( Jean 14, 26). Grâce à lui, enfin on comprenait : en croix Jésus avait été l'agneau de la pâque : le pardon était accordé, on était réconcilié avec Dieu. Ressuscité il était devenu le véritable temple, le lieu de la Présence divine, la Demeure spirituelle de Dieu où les disciples, par la foi, pouvaient pénétrer en devenant des pierres vivantes, des membres de son Corps. C'est pourquoi le splendide temple de marbre et bois précieux pouvait disparaître : et en effet, en répression à la révolte juive, les Romains le détruisirent en l'an 70.
En christianisme, il n'y a plus de centre sacré où il faudrait se rendre en pèlerinage : "Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?" ( 1 Cor 3, 16 )
Le Pouvoir et la Puissance financière manigancent toujours pour, disent-ils, soutenir la religion mais en fait pour l'utiliser à leur service. On offre des bâtiments somptueux, on comble de subsides sous les apparences de la piété !.... Que l'Eglise prenne garde de ne pas redevenir "maison de trafic". Qu'elle reste libre !!! Contrairement à la société marchande, l'Eglise doit être le lieu de la gratuité totale, l'espace où, à la suite de Jésus, l'on disperse l'accumulation périlleuse de l'argent, le lieu où s'arrêtent les pouvoirs des banques. Le culte ( le rapport à Dieu) doit être d'une pureté transparente.
Le carême est temps de l'approfondissement de la foi par une mémoire plus vive. Rappelons-nous tel événement de notre passé ou tel passage d'Ecriture qui nous ont paru incompréhensibles : éclairons-les aujourd'hui par la croix et la résurrection. Vous allez voir un sens nouveau apparaître : tout s'éclaire avec Pâques grâce à l'Esprit.
Jésus n'a pas lancé d'anathème sur le monde païen pervers, ni menacé les pécheurs : il était passionné par la pureté de sa religion, se voyait responsable de l'état des lieux saints. Tâche périlleuse car les profiteurs renâclent à abandonner leurs privilèges. Plutôt que de nous plaindre des péchés du monde, en carême, acceptons que notre Seigneur nous purifie, enlève de nos vies tout ce qui défigure la foi. Travaillons avec lui pour une Eglise humble et sobre.