3e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2005-2006

Jn 1, 6-28

Journaux, magazines, livres chrétiens abondent en analyses des problèmes socio-politiques, en descriptions des défaillances des systèmes en place, en condamnations des m½urs dépravées, en appels véhéments en vue du changement du monde. Tout cela est vrai, finement étudié, clairement exprimé. Mais après ? N'y aurait-il pas là des litanies mille fois ressassées, des plaintes justes mais stériles, une façon de se donner bonne conscience ?...

En quittant le journal pour se plonger dans l'évangile, on s'étonne de n'y trouver presque nul écho de la conjecture de l'époque. Jésus ne s'emporte pas sur les exactions des troupes d'occupation, n'exhibe pas les chiffres calamiteux du chômage, ne geint pas sur les catastrophes climatiques. Non qu'il ferme les yeux sur les malheurs des hommes, ni qu'il se résigne à la fatalité, ni qu'il manque de courage pour oser critiquer les responsables des injustices. ni qu'il n'ose pointer le péché.

Mais s'il offre généreusement le pardon à ceux et celles qui reconnaissent humblement leurs fautes, par contre, ce qui provoque sa colère, ce sont les pharisiens, ces hommes si pointus sur les observances mais dont le c½ur reste dur ; ce sont les scribes, ces spécialistes des Ecritures, enlisés dans le légalisme ; ce sont ces Anciens imbus de leurs privilèges de grandes familles nobles de la capitale ; ce sont les Grands Prêtres qui officient dans les liturgies somptueuses du temple mais qui président un culte hypocrite.

Là, au c½ur sacré d'Israël, Jésus débusque le péché le plus grave : celui que l'on ne veut pas reconnaître. Là est le lieu même de la conversion du monde.

SCANDALE SUR L'ESPLANADE DU TEMPLE

Avec ses lourdes pierres, ses décorations, ses marbres, le temple était une construction magnifique. Depuis que Hérode, ce roi odieux mais grand bâtisseur, avait donné le coup d'envoi des travaux de réfection et d'agrandissement, une armée d'ouvriers ne cessait d'y ½uvrer afin de réaliser une merveille d'architecture.. La foule des pèlerins qui y affluait aux jours de fête restait béate d'admiration devant cette splendeur digne de YHWH, le grand Dieu d'Israël.

Et cependant, ce jour-là, Jésus va y provoquer un scandale !

Comme la Pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem. Il trouva installés dans le temple les marchands de b½ufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du temple...Il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs et dit aux marchands de colombes : " Enlevez ça d'ici : ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic"....

On était habitué de voir, tout autour de la grande esplanade, ces marchands (les animaux étaient nécessaires pour les sacrifices ) et ces changeurs (les pèlerins venant de tous pays devaient acquitter l'impôt du temple en monnaie locale) et Jésus ne vitupère pas contre leurs marges bénéficiaires trop élevées. Mais leur place n'est plus là. Ni ailleurs non plus. Car le grand tournant de l'histoire religieuse est arrivé : Dieu n'a nul besoin d'offrandes animales. Ce qu'il exige, c'est un culte parfait, sans fossé entre la pratique liturgique et la conduite de la vie.

Bien des prophètes et surtout Jérémie avaient dénoncé le risque mortel d'un culte qui table sur les apparences, le faste des constructions, la beauté des costumes, le nombre de bêtes offertes...mais où la précision rituelle et le sang des animaux dispensent les pratiquants d'offrir toute leur vie au Seigneur. Mais s'il reprend les diatribes des prophètes contre l'hypocrisie et le formalisme d'un culte où l'on se dédouane à bon compte, où l'on tente d'acheter son salut par "le commerce" (Ta grâce, Seigneur, en échange d'autant de sacrifices !), Jésus use d'une expression unique : "la Maison de mon Père".

Loin d'être la propriété des Grands Prêtres qui le gèrent, le temple est essentiellement la demeure où YHWH habite : or Jésus est "son Fils" donc il en est responsable, il ne peut y tolérer ni saleté, ni mensonge. Il est là chez lui.

Prétention exorbitante ! Le haut clergé somme Jésus de justifier son geste. Car sans doute ces hommes connaissent-ils l'antique prophétie de Zacharie qui annonçait qu'au Jour de YHWH "il n'y aurait plus de marchands dans le temple".

Les Juifs l'interpellèrent : " Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ?". Jésus leur répondit : " Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai". Les Juifs lui répliquèrent : " Il a fallu 46 ans pour bâtir ce temple et toi, en trois jours, tu le relèverais ?"...

Répartie énigmatique. Impossible, même pour les disciples, d'en saisir le sens sur le champ. Mais plus tard ils comprendront :

Mais le temple dont il parlait, c'était son corps.

Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela ;

ils crurent aux prophéties de l'Ecriture et à la parole que Jésus avait dite.

Tout au long du ministère de Jésus, la profondeur des enjeux échappa aux disciples et la croix les plongea dans le désespoir de l'échec. Mais, lorsque Jésus leur apparut vivant, la lumière de la résurrection éclaira tout le passé :

Jean-Baptiste avait bien désigné Jésus comme "l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde". Lorsque ses ennemis l'exécutèrent, il accomplissait le dessein de Dieu, il était l'agneau pascal dont le sang offre la libération de l'esclavage du péché.

Il s'était relevé, il était vivant : donc il était désormais le nouveau "Saint des Saints", le c½ur secret du sanctuaire nouveau. Le temple de pierres pouvait disparaître (ce qui arriva effectivement en 70 lorsque les Romains détruisirent Jérusalem) car désormais la demeure de Dieu, c'était le CORPS du Christ, son Corps ressuscité.

Et nous, les disciples, n'avons plus à chercher un lieu sacré pour y célébrer des liturgies : par la foi, la confiance dans le pardon offert par l'agneau, nous nous agglomérons au Corps. Et ce Corps, qui est l'Eglise, n'en finit pas de croître au long des siècles. C'est pourquoi les premières générations chrétiennes n'ont jamais bâti d'église ou de chapelle : leur culte véritable se confondait avec leur existence. Etant en Christ, ils vivaient en enfants du Père et ils se manifestaient ensemble comme le Nouveau Temple, comme le Corps du Christ.

En se réunissant pour la Fraction de son Pain, pour le Repas du Seigneur où, en partageant l'Eucharistie, ils chantaient l'action de grâce au Père qui avait relevé son Fils, qui les unissait en UN, et qui les relèverait dans le ciel quand Dieu serait tout en tous.

Si l'Eglise doit sans relâche contester les injustices du monde, elle se doit en priorité d'être le lieu où la proclamation de la Bonne Nouvelle se vit dans une communauté qui, par l'union de ses membres dans la charité fraternelle, témoigne de la Présence de Dieu.

En ce sens, le carême, l'effort pour corriger nos dérives et retrouver notre authenticité, n'est pas un acte pieux, marginal, folklorique : il est au c½ur de notre désir d'un monde selon le c½ur de Dieu.