3e dimanche de Carême, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Y a-t-il pire expérience pour être humain que celle de se sentir « victime » ?  Je parle ici de véritables victimes, celles qui sont frappées par le destin ; celles que rien ne permettait de prévoir ce qui allait leur arriver ; celles qui souffrent injustement du fait d'autrui, du surgissement d'une maladie ou d'une catastrophe.

Nous n'aimons pas être victimes. Nous sommes des êtres appelés à vivre notre destinée et non pas à subir le destin.  Confrontés à ce type d'expériences douloureuses, l'être humain met souvent en place un mécanisme quelque peu pervers.  En effet, puisque nous ne supportons pas cet état de victime, nous allons utiliser notre raison pour essayer de comprendre ce qui nous arrive en allant parfois jusqu'à nous rendre responsable de la situation qui s'impose à nous.  Cela peut nous rassurer un temps mais en même temps cela nous rend doublement victime : victime de ce que nous avons subi puis victime de notre culpabilisation.  Un exemple peut éclairer cette réalité.  J'ai toujours été frappé lorsque j'ai accompagné des jeunes parents qui venaient de vivre la perte de leur bébé de la mort subite à quel point ceux-ci relisaient les deux, trois jours qui ont précédé le décès de leur enfant.  Et régulièrement, j'entendais l'un ou l'autre me dire si nous avions compris ce que notre enfant nous avait dit, si nous avions pu lire les signes qu'il nous envoyait nous aurions pu empêcher que ce drame arrive.  Cette relecture est paradoxale : à la fois très culpabilisante et en même temps elle peut être rassurante car nous avons le sentiment que nous gardons une prise sur les événements.  D'une certaine manière, nous restons tout puissant face à ce qui nous arrive.  Nous avons à nouveau prise sur la vie.  En fait, nous cherchons à donner une réponse à tous ces « pourquoi » qui habitent notre esprit.  Pourquoi moi ?  Pourquoi maintenant ?  Pourquoi si jeune ? Pourquoi ?  Pourquoi ?  Malheureusement pour nous, il n'y a pas de réponse.  Nous risquons de nous enfermer dans une spirale mortifère.  Nous sommes simplement confrontés à la dure réalité de la vie qui peut véritablement transpercer nos propres entrailles.  La douleur est plus forte qu'un coup de poignard et nous errons hagards, perdus cherchant ça et là des mains tendues et réconfortantes. Nous ne sommes pas responsables de ce qui nous arrive.  Nous sommes tout simplement victimes comme l'ont été ces galiléens massacrés par Pilate pendant qu'ils offraient des sacrifices, ou encore comme les dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé.  Le Christ vient nous dire que ces gens-là n'étaient ni coupables, ni qu'ils subissaient une punition divine.  Dieu qui se révèle à nous dans la brise légère et qui en douceur vient nous dire « Je suis celui qui suis », n'est pas Celui qui cause de telles catastrophes.  Notre Dieu ne se venge pas lorsque nous trébuchons ou faisons fausse route.  Il nous convie à vivre une conversion.  Lorsque nous sommes confrontés à l'injustice de la vie, ne nous enfermons pas dans ces « pourquoi » dont nous ne trouverons pas sur cette terre la réponse.  Ne cherchons pas à nous culpabiliser ou encore à culpabiliser Dieu.  Nous sommes victimes et Dieu nous accompagne dans l'événement douloureux que nous traversons par le biais de toutes ces personnes qui donnent de leur temps et de leur tendresse pour nous permettre d'affronter la dure réalité de la vie.  L'injustice fait naître en l'être humain l'empathie et la compassion.  Nous sommes conviés à passer du « pourquoi » en un mot au « pour quoi » en deux mots, c'est-à-dire « pour en faire quoi » ?  La conversion est cette invitation à laisser la douleur nous transfigurer, à lui permettre de nous rendre plus humain.  Cette fois, nous ne cherchons plus les raisons de ce qui nous est arrivé, nous veillons plutôt à grandir dans notre humanité et à voir comment nous pouvons nous laisser transformer en profondeur.  Cela prend du temps, parfois le temps d'une vie mais notre Dieu est patient.  Il ne nous abandonne pas.  Alors malgré, ce que nous avons déjà pu traverser de douloureux dans nos vies, vivons cette conversion intérieure en donnant sens à l'insensé par la manière dont nous vivrons plus humainement nos vies dans le Christ et par l'Esprit.  C'est aussi cela accueillir la Pâque de Dieu.

Amen