Dans notre chemin vers Pâques, les grands événements de l'Histoire du Salut sont autant de points de repère. Dieu avait vu la misère de son peuple en Egypte, il avait entendu les cris de ses souffrances et voulut l'en délivrer. Dieu voulut confier cette mission à Moïse. Voilà le cadre de cet épisode du buisson ardent. Pourquoi vouloir confier cette mission à Moïse ? Parce qu'auparavant Moïse avait lui-même été sensibilisé à la souffrance et à la condition d'esclave de son peuple. Prince égyptien par adoption, il avait pris la défense des siens au point de devoir s'exiler et de devenir pâtre dans un pays étranger. La première objection de Moïse (non reprise dans la lecture du jour) avait été : Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et exiger la délivrance de mon peuple ? ». Dieu avait répondu : « Mais je suis avec toi ! ». La seconde objection était (formulée dans la lecture du jour) : « Et toi, qui es-tu ? Au nom de qui puis-je me présenter devant mon peuple ?». Intervient cette réponse énigmatique : « Je suis celui qui suis », qui pourrait tout aussi bien être une non-réponse que la plus puissante des réponses (« je suis celui qui est par excellence, duquel dépend toute existence »). L'image du buisson ardent double et complète cette définition : comme Dieu, le feu est à la fois quelque chose de très réel (puisqu'on s'y brûle) et de très immatériel (puisque ses flammes ne sont pas des corps solides). De plus, tout en étant très réel, il ne se consume pas dans son existence. Ce feu, l'homme peut le voir mais ne peut le saisir : Dieu ne peut être un objet pour l'homme. En peu de mots, avec une seule image, dans un langage de pâtre, la pensée hébraïque est parvenue à dire ce que la pensée grecque n'est jamais vraiment parvenue à cerner.
La révélation du buisson ardent complétait encore : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob ». Cet ancrage dans l'histoire humaine veut bien signifier que ce Dieu de la tradition judéo-chrétienne n'est ni une Idée d'Etre (comme chez Platon), ni un Premier Moteur (comme chez Aristote), ni un Grand Horloger (comme chez Newton ou Voltaire), ni une quelconque de nos projections psychologiques personnelles. C'est un Dieu incarné qui ne considère pas l'histoire comme un conditionnement dégradant mais comme le seul vrai champ de bataille.
Cette histoire de la sortie d'Egypte a été consignée dans les Ecritures pour nous servir d'exemple, nous rappelait St Paul. Quelle en est donc la leçon pour nous ? Il faut savoir que cette période d'esclavage en Egypte a été, très tôt dans la tradition d'Israël, considérée comme le symbole de tout esclavage, de toutes les formes d'esclavage et, en particulier, du plus grave : l'esclavage au péché, l'esclavage à toutes les dépendances (souvent matérialistes) que l'on accepte et qui nous écartent du Salut. C'est de cet esclavage-là qu'il faut sortir ! Et cela n'est pas une affaire du passé mais une affaire de toujours, chaque fois à recommencer, un combat incessant ; et qui ne se passe pas en une terre lointaine mais qui se passe au-dedans de nous et dans les structures de notre société. A défaut de voir des buissons ardents, pourquoi ne voyons-nous pas la misère de notre époque, la misère de nos petits esclavages ou de nos grands esclavages à toutes les idoles et à toutes les tentations de l'époque ? Et si nous étions sensibles, comme Moïse, à ces formes d'esclavage, peut-être nous rendrions-nous plus sensibles aux buissons ardents du milieu desquels Dieu nous interpelle. Peut-être nous poserions-nous à neuf cette question : qui est ce Dieu qui m'interpelle et à quoi m'appelle-t-il ? nous incitant à purifier notre foi et à purifier nos ½uvres.
« Convertissez-vous, convertissez-vous », insiste le Christ à l'occasion de deux petits faits divers relatés dans l'évangile de ce jour. D'une part, Jésus veut couper court à cette opinion (très ancrée dans le judaïsme de l'époque) selon laquelle il y aurait un lien direct entre une calamité (ou un accident) et une culpabilité personnelle mais, d'autre part, il veut signifier que notre conversion, celle de notre regard, celle de notre c½ur, s'impose, que ce soit à partir d'événements majeurs ou à propos du dernier des faits divers.
La parabole du figuier planté dans la vigne ajoute une note d'urgence. La vigne, ce peut être l'humanité entière, ou Israël, ... ou l'Eglise, selon les niveaux de transposition. Le figuier, ce peut être Israël par rapport à l'humanité, ou le clergé d'Israël par rapport à Israël comme peuple, ou le clergé de l'Eglise par rapport à celle-ci comme communauté des croyants, tous lieux censés être lieux de repos et de ressourcement pour ceux qui travaillent à la vigne ; ce peut être chaque fidèle, chacun de nous.
Nous sommes sommés de porter du fruit. Chacun de nous est sommé de porter du fruit car chacun est le figuier d'une vigne (celle de sa famille, de son entourage, de son milieu de travail, de sa cité). A travers de grandes ½uvres comme à travers les moindres gestes nous pouvons, nous devons porter les fruits du Royaume ; nous pouvons, nous devons devenir des buissons ardents révélant le Dieu qui libère des esclavages.
3e dimanche de Carême, année C
- Auteur: Sélis Claude
- Temps liturgique: Temps du Carême
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013