2e dimanche de Carême, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LE VISAGE DE LUMIERE

Le premier tournant de la vie de Jésus a eu lieu lors de son baptême : dans la PRIERE, l'humble charpentier de Nazareth  a reçu l'appel de Dieu à tout quitter pour inaugurer son Royaume sur terre. Rejetant, dans la PRIERE, les suggestions diaboliques, il s'est livré sur le champ à sa mission dans le respect de la liberté de conscience (il parle, il propose, il dialogue) et dans la compassion pour les souffrants (il guérit malades et handicapés). Après quelques mois où son succès allait grandissant (serait-ce le Messie ? disait-on), Jésus fait un douloureux constat : d'une part les foules l'enferment dans son rôle de bienfaiteur, d'autre part les autorités religieuses (prêtres, théologiens) se montrent de plus en plus excédées par ce laïc qui opère des miracles suspects, mange avec les pécheurs, bafoue les règles sacrées du sabbat et surtout s'attribue le privilège divin de pardonner les péchés.
Devant cette méprise des gens et le refus endurci des responsables, Jésus s'interroge et, à nouveau, se replonge dans une PRIERE instante pour percevoir la décision, le nouveau tournant qu'il est appelé à prendre car seule la volonté de son Père compte. Luc souligne ce moment capital et il est indispensable aujourd'hui d'en parler afin de comprendre l'évangile du jour qui en sera la conséquence.

Comme il était en PRIERE, à l'écart, il interroge ses disciples : « Et vous, que dites-vous que je suis ? ». Pierre répond : « Le Christ de Dieu ». Il leur ordonne de ne pas le dire et il explique : «  Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, le 3ème jour, il ressuscite ».
Et il s'adresse à tous : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra... » (9, 18-27)

Jésus décide de prendre un nouveau chemin. Au lieu de condamner les pécheurs et les païens ou de se faire applaudir comme guérisseur, il lui faut « convertir la religion » : purifier un temple où des sacrifices ne peuvent acheter la grâce de Dieu, appeler à sortir du nationalisme étroit en ouvrant la foi à tous les peuples, dénoncer le légalisme des scribes qui écrasent les gens sous le joug d'observances insupportables, montrer l'hypocrisie et la cupidité d'un sacerdoce gangrené par l'ambition. S'engager sur ce chemin, c'est évidemment prévoir le refus et la haine et s'exposer à la mort. Mais le Fils ne doute pas de son Père : par le don de sa vie sur la croix, par amour, il instaurera son Règne. En perdant sa vie, il la trouvera.

C'est en enchaînant sur cette 1ère annonce de la Passion - qui, après celle de Jésus, doit devenir celle du disciple authentique - que survient la scène de la transfiguration et Luc marque le lien des deux épisodes (ce qu'il ne fait jamais et qui malheureusement est omis dans la liturgie) ;

Or environ 8 jours après ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il alla sur la montagne pour PRIER. Pendant qu'il PRIAIT, son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante. Et deux hommes s'entretenaient avec lui : c'était Moïse et Elie, apparus dans la Gloire. Ils parlaient de son « exode » qui allait se réaliser à Jérusalem.

Sur la montagne, le Père réconforte son Fils et le couvre de Lumière : « Tu es dans la Vérité ». Et parce qu'il est aujourd'hui VISAGE TRANSFIGURÉ, Jésus pourra, au jardin des Oliviers, avoir le VISAGE DÉFIGURÉ par l'angoisse mais le c½ur inébranlable : la nuit de l'agonie débouchera dans la splendeur du matin de Pâques.
Moïse, le géant, avait jadis apporté la Loi de Dieu et Elie, le plus grand des Prophètes, l'avait défendue avec un zèle farouche ; tous les deux avaient gravi la montagne afin d'y rencontrer le vrai et unique Dieu et Moïse avait même le visage lumineux après ce séjour. Mais tous les deux n'avaient pas renoncé à l'usage d'une certaine violence. Aujourd'hui qu'ils sont vivants dans la Gloire de Dieu », ils viennent encadrer Jésus et l'encourager dans son dessein : Par le don de ta vie, par ton amour écartelé, tu vas accomplir la Pâque, tu vas « passer » dans la Gloire de ton Père et, de la sorte, tu permettras l'EXODE de l'humanité qui, avec et par toi, pourra entrer dans la véritable Terre promise, le Ciel où Dieu et l'humanité ne sont qu'un.

Les deux hommes s'en allaient quand Pierre dit à Jésus : «  Maître, il est heureux que nous soyons ici : dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ». Il ne savait pas ce qu'il disait ! Il n'avait pas fini de parler qu'une Nuée survint et les couvrit de son ombre. Ils furent saisis de frayeur lorsqu'ils y pénétrèrent. Et, de la Nuée, une voix se fit entendre : «  Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi : écoutez-le ».
Les apôtres sont transportés par cette vision qui leur paraît comme l'ouverture subite du Royaume divin. Là-haut, dans la paix de la solitude, dans la splendeur d'une Lumière venue d'ailleurs, que l'on est heureux !  Comme l'on aimerait prolonger ce temps béni ! Mais il est fini le temps de dresser un sanctuaire, d'enfermer le sacré dans des lieux clos. Pierre doit comprendre qu'il n'est plus un disciple à l'école de son maître et qui lui reste extérieur. La NUEE, symbole manifeste de la Présence de Dieu, se déploie sur tous les acteurs : Jésus, Moïse, Elie et les 3 apôtres sont ensemble « sous la Tente de Dieu ». Il n'y a plus l'Ancien et le Nouveau Testament, la Loi et les Prophètes, un maître et des disciples : l'humanité universelle devient unie dans la Lumière du Visage de Jésus.
A une condition : que les hommes croient ce que Dieu leur révèle : « Ce Jésus est mon FILS » et qu'ils ECOUTENT ce que Jésus vient de leur annoncer : il faut passer par la croix pour entrer dans le Royaume.

Quand la voix eut retenti, on ne vit plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et, de ce qu'ils avaient vu, ils ne dirent rien à personne à ce moment-là.
La fulgurance n'a duré qu'un moment et les apôtres se retrouvent avec JESUS SEUL. Un homme que Dieu a appelé « MON FILS » et qui reste décidé à aller jusqu'au bout de sa mission. Il faut remballer les tentes, renoncer à un bonheur solitaire sur la montagne, redescendre sur la terre des hommes et poursuivre la route vers Jérusalem. Il n'y a pas d'autre chemin.

CONCLUSION

L'animal suit le chemin de son instinct : l'homme, lui, dispose du privilège redoutable de la liberté. Devant des alternatives, il doit choisir et il est évidemment toujours tenté de prendre la voie la plus facile, où son instinct vital l'écarte de la souffrance et où les slogans de la société le poussent à jouir du bonheur immédiat. Jésus, lui, était persuadé que l'essentiel est de créer la communion entre Dieu et l'humanité, donc de transformer la mort en un « exode », un passage, une renaissance. Même au risque de décevoir les foules en quête, seulement, d'une bonne santé et d'affronter ceux qui se présentent comme les représentants de Dieu mais ferment la porte de son Royaume.

Le 1er dimanche de carême nous a rappelé la source de notre engagement : le baptême.
Le 2ème, aujourd'hui, nous apporte une pause de bonheur : qu'il est heureux de se réfugier avec le Seigneur sous la  douce protection du Père. Mais si chaleureuse soit l'Eucharistie, si réconfortantes les retraites au désert, si emballantes les J.M.J et les grandes manifestations de masse, il reste que, lorsque l'enthousiasme s'éteint, nous sommes tenus, à travers la grisaille des jours et les cérémonies banales, à prendre le chemin de l'exode même s'il faut nous heurter à des frères qui ne veulent rien changer dans l'Eglise.
Sur ce chemin ténébreux, la douce clarté du Visage de Lumière nous persuade de « ne plus voir que Jésus seul », de l'écouter c.à.d. de lui obéir lorsqu'il nous parle de l'exode de la mort.
En communauté recouverte par l'Esprit de force, nous descendons de notre piété évanescente et superficielle pour suivre Jésus avec notre croix. Vers la Transfiguration éternelle.