Chaque année en cette période, une exclamation de fatigue et de lassitude refait régulièrement surface... Une petite ritournelle dont il faudra encore s'habituer pour quelques jours : « vivement la fin de l'hiver !»??Il est vrai que nous pouvons éprouver parfois une certaine fatigue chronique, ?au c½ur de l'hiver. ??Mais s'il y a des saines fatigues qui nous invitent au repos et à refaire nos forces,?il est une autre fatigue, plus profonde, qui nous guette également.
Elle est cette lassitude de vivre qui nous amène à ne plus voir l'essentiel ;?cette somnolence qui nous fait oublier nos lieux mêmes de ressourcement.
Ceux qui traversent cette fatigue existentielle éprouvent parfois l'envie de tout laisser tomber, ou d'appuyer sur pause, de figer l'instant, de planter leur tente comme Pierre dans l'Evangile, pour profiter du moment présent. ?Notre culture de l'image ne fait que renforcer ce besoin de figer, de fixer, de saisir, d'immortaliser l'instant plutôt que de le vivre. ??Or, à force de vouloir immortaliser tous ces instants qui nous sont donnés, ?nous passons justement à côté d'eux, à côté de leur goût d'éternité. ?
Et aujourd'hui, en ce temps de Carême, au c½ur du tourbillon de nos vies, au c½ur peut-être de nos hivers intérieurs, l'évangile nous invite à gravir la montagne et à prendre de la hauteur pour vivre pleinement les moments privilégiés de nos vies. Pour cela, il nous faut gravir notre propre montagne et sortir d'une certaine somnolence...
Ces moments d'éternité sont tous ces moments privilégiés qui nous ressourcent, où sommes citoyens des cieux, pour reprendre l'expression de Saint Paul. Ce sont ces petits moments d'amitié, de rencontre en vérité, ?de tête à tête, de face à face, à visages découverts et transfigurés. ??La beauté de ces moments est justement qu'ils ne durent que quelques instants. Il ne sert à rien de vouloir s'y accrocher. Ils ne nous font pas croire à notre immortalité mais ils donnent à la fragilité de nos existences une saveur d'éternité.
Ces instants nous aident aussi à franchir des étapes dans nos vies. En effet, dans l'évangile de Luc, le récit de la transfiguration est une tournant. Il se situe entre deux annonces de la passion. A partir de cet instant, le chemin de Jésus sera sa montée vers Jérusalem et sa passion.
Quant à nous, de part et d'autres de nos lieux de ressourcements, nous avons nous avons toutes et tous nos difficultés à traverser certaines phases de notre vie. Ces étapes sont chaque fois un deuil sur nous-mêmes, ?sur ce que nous voudrions devenir. La transfiguration ne peut en effet se vivre que si elle prend en compte l'annonce de la passion.
Entre ces moments privilégies et ces étapes à franchir, il nous faut néanmoins marcher, sans vouloir nous protéger, sans vouloir planter une tente comme les disciples. Comme Pierre, Jacques et Jean, les proches disciples de Jésus, nous pouvons être traversés par ces forces qui nous invitent à figer l'instant, à immortaliser l'instant plutôt que de le vivre.
L'Évangile d'aujourd'hui nous invite donc à traverser une étape de notre vie. Pour certains, il s'agira d'apaiser un deuil, de porter désormais un regard non douloureux sur une cicatrice de l'existence ; pour d'autres, il s'agira de quitter un lieu qui les retient en arrière.
Cette étape est toujours un moment de transfiguration authentique et profond où nous pouvons montrer un autre visage ; accepter le défi d'être plus encore devant les autres ce que nous sommes en vérité devant Dieu, ses fils et ses filles bien aimés.